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cieux ; car, s’il est un désir que nous devions former, c’est d’avoir à supporter les méchants plutôt que d’être à charge aux bons ; unissons-nous à cette voix par nos oreilles, notre langue, notre cœur et nos œuvres. Par là nous disons nous-mêmes ce que nous entendons. Parlons d’abord de l’ensemble des hommes mauvais qui appartiennent au royaume de la terre.
7. « Pourquoi celui qui est puissant en malice se glorifie-t-il[1] ? » Considérez bien, mes frères, de quelle nature est la gloire de la malignité, la gloire des hommes mauvais. Quelle est cette gloire ? « Pourquoi celui qui est puissant en malice se glorifie-t-il ? » C’est-à-dire : De quoi peut se glorifier celui qui surabonde de malice ? Il faut être puissant en bonté et non en méchanceté. Y a-t-il de la grandeur à se glorifier d’être méchant ? Le nombre de ceux qui peuvent bâtir une maison est peu considérable, mais le premier ignorant venu peut la détruire. Semer du froment, le cultiver ensuite, en attendre la maturité, user joyeusement du fruit de ses labeurs, voilà le propre d’un petit nombre ; avec une étincelle chacun est à même de réduire en cendres toute la récolte ; donner la vie à un enfant, le nourrir après l’avoir mis au monde, l’élever et le conduire jusqu’à l’adolescence, c’est une grande affaire ; le tuer en un clin d’œil, quoi de plus facile ? Rien de plus aisé que de détruire. Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur[2]. Que celui qui se glorifie, se glorifie dans sa bonté. Tu te glorifies, parce que tu es puissant dans le mal. Mais de quoi es-tu capable, ô puissant ? que peux-tu faire ? tu te vantes beaucoup. Tu feras mourir un homme ; un scorpion, un accès de fièvre, un champignon vénéneux peut en faire autant. Égaler en puissance un champignon empoisonné, voilà ce à quoi tu peux réussir ; est-ce là pour toi un sujet d’orgueil ? Les bons citoyens de Jérusalem, qui ne prennent point plaisir à faire le mal, mais qui se réjouissent d’opérer le bien, se glorifient non en eux-mêmes, mais dans le Seigneur. Ils s’efforcent aussi de bien faire, ce qui tend à l’édification, et d’agir de telle sorte que leurs œuvres puissent durer longtemps. Mais quand ils travaillent à détruire, ils le font pour la correction et le profit des autres, et non point dans le but d’opprimer des innocents. Comparée au pouvoir des bons, la puissance des méchants ne mérite-t-elle pas qu’on leur adresse ces paroles du psaume : « Pourquoi celui qui se glorifie, se glorifie-t-il dans la malice ? »
8. « Votre langue a médité l’injustice, elle « a pensé tout le jour à l’iniquité[3] » ; tout « le jour » ; c’est-à-dire en tout temps, sans éprouver de lassitude, sans interruption, sans repos. Quand tu ne fais pas le mal, tu y penses, en sorte que tes mains sont vides d’iniquité, ton cœur en est rempli. Tu fais du mal ; et, si tu ne peux en faire, tu en dis, c’est-à-dire, la médisance sort de tes lèvres, et lorsque tu ne peux même en venir jusque-là, tu veux et tu penses le mal. « Tout le jour » signifie donc sans cesse. À un pareil homme nous souhaitons un châtiment. Mais n’est-il pas pour lui-même un châtiment assez sévère ? Tu le menaces ; lorsque tu le menaces, où veux-tu le jeter ? dans le malheur ? abandonne-le à lui-même. Pour le punir exemplairement, tu veux le livrer aux bêtes. Celles-ci peuvent bien déchirer son corps ; mais il est, lui, incapable de ne pas se déchirer le cœur. Au dedans il est son propre supplice, et tu voudrais le tourmenter au-dehors ? 2 vaut mieux prier Dieu pour lui, afin qu’il soit délivré de lui-même. Remarquez-le toutefois, mes frères, il n’y a dans ce psaume ni prière en faveur des méchants, ni imprécation contre eux, nous ne devons y voir que l’annonce de ce qui leur adviendra ; ne vous imaginez donc pas que le psalmiste, animé de mauvais vouloir envers eux, ait voulu manifester dans ses paroles les sentiments de son cœur, il n’a fait qu’une prophétie. Voyons ce qui suit. Toute ta puissance, toutes ces pensées iniques que tu nourrissais en ton âme durant le jour ; ces réflexions malignes, sans cesse exprimées par ta langue, à quoi ont-elles abouti ? quel en est le résultat ? « Tu as fait le mal comme un rasoir affilé ». Voilà bien ce que les méchants font aux bons, ils leur rasent les cheveux. Mépriser les biens de la terre et la vie même, telle est la disposition d’esprit où se trouvent les vrais citoyens de Jérusalem, parce qu’ils écoutent cette parole de leur Seigneur et Roi : « Ne craignez point ceux qui ne peuvent tuer que le corps et ne peuvent tuer l’âme[4] ». Parce qu’ils ont entendu ces autres paroles de l’Évangile

  1. Ps. 51,3
  2. 1 Cor. 1,31
  3. Ps. 51,4
  4. Mt. 10,28