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l’Apôtre parlait ainsi, il ne possédait rien. Il avait tout abandonné, n’avait plus aucune richesse. Et que dit-il ensuite ? « Comme ne possédant rien » ; ce dénuement est aussi un comme pour l’apôtre saint Paul. « Et possédant tout » ; ici il ne dit point comme. Il était pauvre en apparence ; mais c’était bien en réalité, et non en apparence, qu’il enrichissait beaucoup d’hommes. Il était comme dénué, et toutefois il possédait, non plus en apparence, mais réellement toutes les richesses. Comment possédait-il en réalité toutes les richesses ? Parce qu’il était uni au Créateur de toutes choses. « Toutefois », dit le Prophète, « le Seigneur rachètera mon âme de l’enfer, quand il me prendra sous sa garde ».
6. Que deviendront ceux qui désirent les biens du monde ? Tu verras un méchant dans les délices de cette vie, et ton pied chancellera peut-être, et tu diras en ton âme : Dieu, j’ai connu les actes de cet homme, les crimes qu’il a commis, et le voilà dans le bonheur, il fait trembler les autres, il domine, il s’élève ; il n’a pas la moindre migraine, il n’essuie pas la moindre perte : et te voilà pris de doute contre ta foi, et ton cœur s’écrie : Malheur à moi ! c’est en vain que j’ai la foi, Dieu n’a aucun soin des choses d’ici-bas. Dieu donc vient nous éveiller, et que nous dit-il ? « Ne crains point, lorsqu’un homme sera devenu riche[1] ». Pourquoi les richesses de cet homme t’inspiraient-elles de la crainte ? Tu craignais d’avoir vainement cru en Dieu, d’avoir perdu le fruit de ta foi, l’espérance fondée sur ta conversion : un gain frauduleux s’est présenté, tu pouvais t’enrichir, échapper à la misère ; mais les menaces de Dieu t’ont détourné de la fraude et fait mépriser un tel gain ; tu en vois un autre qu’un gain frauduleux vient d’enrichir, qui est exempt de peines, et tu crains ton attachement pour la justice. « Ne crains pas », te dit l’Esprit-Saint, « quand un homme sera devenu riche ». Tu ne veux avoir des yeux que pour les biens présents. Ce sont des biens futurs que t’a promis celui qui est ressuscité, mais il n’a promis pour ici-bas ni le repos ni la paix. Tout homme cherche le repos : c’est un vrai bien, mais il ne cherche pas ce bien dans la région où il se trouve. La paix n’est point de cette vie ; c’est dans le ciel que l’on nous promet ce que nous cherchons ici-bas : c’est dans le siècle à venir que l’on nous promet ce que nous cherchons dans le présent.
7. « Ne crains point quand un homme est devenu riche, et qu’il étend la gloire de sa maison ». Pourquoi ne pas craindre ? « Car à sa mort, il n’emportera pas toutes ses richesses[2] ». Tu le vois vivant, pense à son trépas. Tu vois ce qu’il possède, vois ce qu’il doit emporter avec lui. Que doit-il emporter ? Il a des monceaux d’or, des monceaux d’argent, de grands domaines, de nombreux esclaves : il meurt, et tout cela va rester il ne sait à qui. Quand même il le laisserait à ceux qu’il veut enrichir, il ne saurait le conserver à ceux à qui il désire le conserver. Plusieurs en effet ont acquis ce qu’on ne leur avait point laissé, et plusieurs ont perdu ce qu’ils avaient reçu en héritage. Tout cela va donc rester, et qu’emportera-t-il avec lui ? Mais, dira-t-on, il emporte au moins le linceul dont on l’enveloppe, et ce que l’on dépense pour lui ériger un tombeau de marbre, qui perpétuera sa mémoire. Et moi je vous dis : Non, pas même cela. On fait tout cela pour un homme privé de tout sentiment. Qu’on orne ainsi un homme dans son lit, profondément endormi, il aurait du moins ces ornements avec lui ; et peut-être que, quand il serait couvert de ces riches vêtements, il se croirait en songe couvert de haillons. L’objet qu’il se représente lui fait une plus vive impression qu’un objet qu’il ne voit pas. Bien qu’il n’en doive pas juger ainsi à son réveil, néanmoins l’impression de ce qu’il voyait en songe était plus forte que celle de tout ce qu’il ne voyait pas. Donc, mes frères, que les hommes se disent : Que l’on fasse à ma mort de somptueuses dépenses, qu’ai-je à faire de si riches héritiers ? Ils auront dans mes biens une assez forte part ; il est bien juste que j’en détache une partie pour mon corps. Que peut posséder une chair déjà morte ? que peut posséder une chair déjà en pourriture, une chair privée de sentiment ? Si cet homme, dont la langue était desséchée[3], possédait quelque chose, que l’homme, j’y consens, emporte de son bien. Est-ce bien là, mes frères, ce que nous lisons dans l’Évangile ? Ce riche avait-il dans les flammes ses vêtements de soie et de lin ? Était-il dans les enfers comme dans ses festins somptueux ? Non, il n’avait point toutes ses richesses quand la soif le

  1. Ps. 48,17
  2. Ps. 48,18
  3. Lc. 16,24