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au premier homme : Dieu l’avait menacé de la mort, s’il touchait au fruit défendu[1] ; « Point du tout », dit le serpent, « vous ne mourrez point[2] ». Nos premiers parents crurent le serpent, et virent que la menace de Dieu était vraie, que la promesse du diable était fausse. Ainsi en est-il aujourd’hui, mes frères ; figurez-vous l’Église comme un paradis terrestre où le serpent ne cesse de suggérer ce qu’il suggérait alors. Toutefois la chute première homme doit être pour nous une préservation de chute et non un modèle de péché. Adam est tombé pour que nous nous relevions. À ses suggestions faisons constamment la réponse de Job. Car le démon le tenta par la femme, comme par une nouvelle Eve ; et l’homme vaincu dans le paradis, fut vainqueur sur le fumier[3]. Loin de nous d’écouter ses dires et de croire qu’il y ait si peu de justes ; il y en a beaucoup, mais ils sont cachés dans un plus grand nombre. Nous ne pouvons le nier, les méchants, sont en plus grand nombre, et tellement en plus grand nombre, que les bons n’apparaissent au milieu d’eux, que comme le bon grain dans l’aire. Quiconque en effet jette un regard dans l’aire, pourrait croire qu’il n’y a que de la paille. Que l’on y fasse entrer un homme peu connaisseur, il croira que c’est inutilement qu’on y introduit les bœufs, et que des hommes supportent la chaleur du jour, pour briser la paille ; et néanmoins il y a là une masse de bons grains, que le van doit séparer de la paille. Alors on verra cet amas de blé se dégager de la paille qui l’enveloppait. Et dès maintenant, voulez-vous connaître de bons chrétiens ? soyez bons et vous en trouverez.
10. Vois ce que notre psaume oppose à ce désespoir. Après avoir dit : « Nous avons ressenti, ô Dieu, votre miséricorde, au milieu de votre peuple », il nous montre que c’est au milieu de ce peuple insensible à la divine miséricorde, que plusieurs ressentent les effets de cette miséricorde : et pour empêcher qu’on ne regardât ce nombre comme tellement petit qu’il deviendrait nul, en quels termes le Prophète va-t-il nous consoler ? « Comme votre nom, Seigneur, ainsi votre louange se répandra jusqu’aux confins de la terre[4] ». Qu’est-ce à dire ? « Le Seigneur est grand, et infiniment digne de louanges, dans la cité de notre Dieu, sur sa montagne sainte » ; or, il ne peut être loué que par ses saints. Car ceux qui vivent dans le désordre ne le louent point ; mais ils ne le prêchent de bouche, que pour le blasphémer par leur vie. Si donc il m’y a que les saints pour louer Dieu, que les hérétiques ne se disent point à eux-mêmes : C’est chez nous que subsiste encore la louange, parce que nous sommes peu nombreux, que nous vivons loin de la foule, et dans la justice, que nous bénissons Dieu, non seulement par nos paroles, mais aussi par notre vie. On leur répond par le même psaume : Pourquoi dire que vous bénissez dans une partie du monde ce Dieu auquel il est dit : « Comme votre nom, Seigneur, ainsi votre louange se répandra jusqu’aux confins de la terre ? » c’est-à-dire, de même que vous êtes connu dans toute la terre, ainsi vous y êtes béni ; et c’est vous louer que vivre dans la piété. « Comme votre nom, Seigneur, ainsi votre louange est répandue », non point dans une partie de la terre, mais « dans toute la terre ». « Votre droite est pleine de justice », c’est-à-dire, ils sont nombreux, ceux qui se tiendront à votre droite. Et non seulement ils seront nombreux ceux qui sont à votre gauche, mais la masse du bon grain qui sera à votre droite formera aussi une plénitude[5] : « Votre droite est pleine de justice ».
11. « Que la montagne de Sion soit dans la joie, et les filles de Juda dans l’allégresse, à la vue de vos jugements, ô mon Dieu ». O montagne de Sion, ô filles de Juda, vous souffrez aujourd’hui au milieu de l’ivraie, au milieu de la paille, au milieu des épines ; mais tressaillez à cause des jugements de Dieu. Votre Dieu ne peut errer dans ses jugements. Que votre vie vous sépare des méchants, si votre naissance vous a jetées au milieu d’eux ; ce n’est pas en vain que vous avez chanté de la voix et du cœur : « Ne perdez pas mon âme avec les impies, ni ma vie avec les hommes de sang »[6]. Le souverain Créateur viendra faire le discernement, il viendra le van à la main afin de ne laisser ni tomber un grain de blé dans la paille destinée au feu, ni passer la moindre paille avec le froment destiné au grenier céleste[7]. Tressaillez donc, filles de Sion, à la vue des infaillibles jugements du Seigneur, et gardez-vous de juger témérairement. À vous de recueillir, à Dieu de séparer. « Que la montagne de Sion

  1. Gen. 2,17
  2. Id. 3,4
  3. Job. 2,8-10
  4. Ps. 47,11
  5. Mt. 25,33
  6. Ps. 25,9
  7. Mt. 3,12