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pas encore que cela soit accompli, car il y a des guerres encore, et entre les peuples pour l’empire, et entre les sectes ; entre les juifs, les païens, les chrétiens, les hérétiques, il y a des guerres, de fréquentes guerres, les uns combattant pour la vérité, les autres pour l’erreur. Cette parole : « Il a fait cesser les guerres jusqu’aux extrémités du monde », n’est donc point accomplie, mais peut-être s’accomplira-t-elle. Maintenant même, n’est-elle donc pas accomplie ? Elle l’est pour quelques-uns. Elle l’est pour le froment, pas encore pour l’ivraie. Que signifie donc : « Il a dû cesser les guerres jusqu’aux extrémités du monde ? » Il appelle guerres, les combats contre Dieu. Or, qui combat contre Dieu ? l’impiété. Que peut faire à Dieu l’impiété ? Rien. Que fait contre une pierre un vase de terre déjà fêlé, quel qu’en soit le choc ? Plus le choc est violent, et plus complète est sa ruine. Ces guerres étaient grandes jadis, elles étaient fréquentes. L’impiété livrait bataille à Dieu, et les vases de terre se brisaient, quand les hommes étaient assez présomptueux pour compter sur leurs propres forces. Ils s’armaient fors de ce bouclier dont parle Job à propos le l’impie : « Il s’est élancé contre Dieu, le cou abrité de son bouclier »[1]. Qu’est-ce à dire : « Le cou abrité de son bouclier ? » C’est-à-dire, en se confiant trop à la protection de cette armure. Ressemblaient-ils à ces orgueilleux, ceux qui disaient : « Le Seigneur est notre appui et notre force, il nous soutient dans les tribulations excessives qui sont venues fondre sur nous[2] » ; ou bien dans un autre psaume : « Je ne mettrai point mon espoir dans mon arc, et mon bras ne me sauvera point ? »[3] Quand un homme reconnaît qu’il n’est rien en lui-même, qu’il ne peut rien attendre de lui-même, ses armes sont brisées entre ses mains, la guerre est finie. Telles sont les guerres apaisées par la voix du Tout-Puissant, par cette voix sortie des nuées, qui fit trembler la terre et incliner les empires : ces guerres ont cessé jusqu’aux extrémités du monde. « Il a brisé l’arc, rompu les lances et jeté au feu les boucliers »[4]. Un arc, des lances, des boucliers, du feu. L’arc signifie les embûches ; les lances, l’attaque ouverte ; le bouclier, la vaine présomption dans ses forces ; et le feu qui doit consumer tout cela, est celui dont le Seigneur a dit : « Je suis venu apporter le feu sur la terre »[5], et dont le Psalmiste a dit : « Nul ne peut se dérober à ses flammes »[6]. Quand ce feu brûlera en nous, il ne nous restera plus aucune arme impie, il faut que toutes soient brisées, soient rompues, soient brûlées. Demeure donc sans armes et sans appui en toi-même ; et plus tu seras faible, sans aucune défense en toi, plus deviendra ton appui celui dont il est dit : « C’est le Dieu de Jacob qui veut nous sauver ». Tu avais de la puissance en toi-même, et voilà le trouble chez toi. Loin de toi ces armes sur lesquelles tu comptais ; écoute cette parole du Seigneur : « Ma grâce te suffit ». Dis à ton tour : « Quand je suis faible, c’est ce là que je suis fort ». Ce mot est de l’Apôtre. Il avait perdu toutes les armes de sa force, lui qui disait : « Pour moi, je n’ai point à me glorifier sinon dans ma faiblesse »[7] ; comme s’il disait : Je ne cours point contre Dieu avec le cou abrité par mon bouclier : « Moi qui ai d’abord été un blasphémateur, un persécuteur, un outrageux ennemi ; mais qui ai ce reçu miséricorde, afin que Jésus-Christ montrât en moi toute sa patience envers ce ceux qui croiront en lui, pour la vie éternelle[8]. « En apaisant les guerres jusqu’aux confins du monde ». Or, quand le Seigneur entreprend de nous sauver, nous laisse-t-il sans armes ? Il nous donne des armes sans doute, mais d’autres armes, celles de l’Évangile, de la vérité, de la continence, du salut, de l’espérance, de la foi, de la charité. Ces armes nous les aurons, mais pas de nous-mêmes. Les armes qui venaient de nous sont brûlées, si tant est que nous ayons été embrasés de ce feu du Saint-Esprit dont il est dit : « Il jettera les boucliers au feu ». Tu voulais être fort en toi-même, et Dieu t’a rendu faible, afin de te rendre fort en lui, toi dont la force n’était que faiblesse.
14. Quelle est donc la suite ? « Demeurez en ce repos ». Pourquoi ? « Et voyez que c’est moi ce qui suis Dieu »[9]. Voyez que ce n’est point vous, mais bien moi qui suis Dieu ; c’est moi qui ai créé et qui crée de nouveau ; moi qui ai formé et qui reforme ; moi qui ai fait et qui refais. Si tu n’as pu te faire toi-même, comment te referais-tu ? Voilà ce que ne voit pas l’esprit humain dans son trouble ; et c’est à la vue de ce trouble opiniâtre

  1. Job. 15,20
  2. Ps. 45,2
  3. Id. 43,7
  4. Id. 45,10
  5. Lc. 12,49
  6. Ps. 18,7
  7. 2 Cor. 12,9-10
  8. 1 Tim. 1,13-16
  9. Ps. 45,11