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nous suffit », il cherchait une fin qui complète, qui perfectionne. Mais Jésus lui répond : « Philippe, voilà si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas encore ? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père ». En lui donc nous avons le Père, parce qu’il est dans le Père, et que le Père est en lui, et que le Père et lui sont un[1].
2. Quel est donc l’avertissement que nous donne le Prophète dans ce cantique où nous devons reconnaître notre voix, si toutefois nous entrons dans les sentiments qu’il exprime ? ce Dieu est notre refuge et notre force »[2]. Certains asiles sont quelquefois peu sûrs, et s’y abriter c’est s’exposer plutôt que se préserver. Ainsi, par exemple, tu as recours à un homme élevé dans le monde pour t’en faire un ami puissant ; tu vois un refuge près de lui. Et telle est néanmoins l’inconstance des choses de la terre, et chaque jour on voit tomber tant d’hommes puissants, qu’après avoir choisi un tel asile, c’est alors redoublent tes craintes. Auparavant tu ne craignais que pour toi, mais depuis que cet homme est ton appui, tu crains aussi pour lui. Plusieurs, en effet, qui avaient eu recours à de les protections, ont été recherchés à la chute de leurs protecteurs ; et nul ne les eût inquiétés, s’ils n’eussent recherché ces appuis. Pour nous, tel n’est point notre appui, mais notre appui est la force même. Nous y réfugier, c’est y trouver la sûreté.
3. « Il est notre secours dans les afflictions sans nombre qui nous visitent »[3]. Les afflictions sont nombreuses, et dans toute affliction néanmoins il nous faut recourir à Dieu : nous soyons affligés soit dans nos biens, dans notre santé, soit dans le danger que courent nos âmes, soit dans toute autre chose nécessaire à cette vie, le chrétien ne doit recourir qu’à Dieu seul ; et s’il y recourt, il deviendra fort. Ce n’est point par lui-même qu’il sera fort, il ne sera pas son propre appui ; mais il trouvera la force en celui qui lui aura donné asile. Cependant, mes chers frères, de toutes les afflictions de l’âme humaine, il n’en est pas de plus douloureuse que la conscience de nos péchés ; car s’il n’y a aucune blessure, et si cet intérieur de l’homme appelé conscience est complètement sain, d’où que lui vienne la peine, il se réfugie dans cet intérieur et y trouve Dieu. Mais si de nombreuses fautes ont banni le repos de cette conscience, et que Dieu n’y soit pas, que fera l’homme ? où trouvera-t-il un abri contre les peines ? Qu’il fuie de la campagne dans la cité, du forum à sa maison, de sa maison dans sa chambre la plus retirée, la peine le suit toujours. Après sa chambre il n’a plus d’autre lieu où fuir, que cette retraite intérieure. Mais s’il doit encore y trouver le trouble, la fumée du péché, le brasier du crime, il ne peut s’y réfugier ; il en est chassé ; et, chassé de là, il est hors de lui-même. Il trouve son ennemi où il cherchait la sûreté ; où pourra-t-il se fuir lui-même ? Partout où il puisse aller, il se traîne après lui ; et partout où il se traîne il est son propre bourreau. Ce sont là les grandes tribulations qui viennent assaillir l’homme ; il n’y en a point de plus cuisante, parce qu’il n’y en a point de plus intérieure. Voyez, bien-aimés, quand des bûcherons vont abattre des bois et les apprécier, il y a souvent à la surface quelque chose de gâté, de pourri, mais le charpentier en examine pour ainsi dire la moelle et le cœur, et s’il voit que cet intérieur est bon, il prononce hardiment qu’ils auront une longue durée dans l’édifice : et il se met peu en peine de la pourriture de la surface, quand il reconnaît que l’intérieur est bon. Mais chez l’homme il n’y a rien de plus intérieur que sa conscience ; de quoi lui sert alors que l’extérieur soit d’une santé parfaite, quand la moelle de la conscience est en pourriture ? Ce sont donc là des peines cuisantes, des peines tout à fait insupportables et, comme le dit le Psalmiste, des peines excessives ; et toutefois le Seigneur vient nous en soulager par le pardon de nos péchés, Car il n’y a que sa bonté qui puisse guérir la conscience des pécheurs. S’il endure de cruels tourments, cet homme qui se reconnaît débiteur du fisc ; et qui, en face de ses affaires dans le désordre, reconnaît qu’il ne peut vivre en payant ce qu’il doit ; s’il se plaint des tortures que lui font endurer les receveurs qui le pressent chaque année, et s’il n’a pour respirer que l’espoir de trouver quelque indulgence près des princes de la terre ; combien plus vive doit être la peine de celui que ses fautes nombreuses rendent passible des plus grands supplices, et comment s’acquitter sur le fond d’une conscience en désordre, puisque s’acquitter c’est périr ? Cette créance ne peut se solder que par la douleur. Il n’y a donc

  1. Id. 10,30
  2. Ps. 45,2
  3. Id. 3