Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/483

Cette page n’a pas encore été corrigée

chétive plume de l’écrivain, sans la mépriser pourtant. Car je me demande pourquoi Dieu a comparé sa langue à la plume habile écrivain ? Quelle que soit en effet la rapidité d’un écrivain, on ne peut lui comparer cette vitesse dont un autre psaume a dit : « Son Verbe se répand avec rapidité »[1]. Toutefois, autant que l’intelligence peut pénétrer ces matières, il me semble que l’on peut attribuer au Père cette parole : « Ma langue est la plume l’écrivain ». Ce que dit la langue, en effet, résonne et passe ; ce que l’on écrit, demeure. Comme donc Dieu dit son Verbe, et que ce Verbe ne résonne pas, ne passe point, mais se dit toujours et demeure toujours, Dieu a préféré comparer sa parole à une écriture plutôt qu’à un son. Qu’il ajoute : « Qui écrit rapidement », il stimule notre esprit qui cherche à comprendre : mais ne s’arrête point à considérer les écrivains et les copistes les plus habiles ; avec ces considérations il s’en tiendra là. Qu’il soit, habile à considérer l’expression « rapidement », et qu’il s’efforce de découvrir ce que signifie « rapidement ». Telle est en Dieu la rapidité, qu’il n’y a rien de plus rapide. Or, en écrivant, on ne peut écrire qu’une lettre après une lettre, une syllabe après une syllabe, un mot après un mot ; on ne passe à un second qu’après avoir formé le premier. Le plus expéditif est d’avoir peu de paroles sans que rien soit omis, de renfermer tout en un mot.
7. Cette parole ainsi proférée, parole éternelle et coéternelle à celui qui est éternel, cet Époux, le voici : « Il surpasse en beauté les enfants des hommes »[2]. « Les enfants des hommes », est-il dit, pourquoi pas les anges ? Qu’a-t-il voulu dire par « les enfants des hommes », sinon qu’il est un homme ? Mais de peur qu’on ne vît dans le Christ qu’un homme ordinaire, il dit : « Vous surpassez en beauté les enfants des hommes ». Tout homme qu’il soit, il est avant les fils des hommes ; bien qu’il soit parmi les enfants des hommes, il surpasse les enfants des hommes ; bien qu’il soit au nombre des enfants des hommes, il est plus que les enfants des hommes. « La grâce est répandue sur vos lèvres ». « La loi donnée par Moïse, la grâce et la vérité ment de Jésus-Christ »[3]. J’avais besoin de ce secours, « Car selon l’homme intérieur je me plais dans la loi de Dieu, mais je sens dans mes membres une loi qui résiste à la loi de l’esprit, et qui me captive sous la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La grâce de ce Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. »[4] Cette grâce est donc répandue sur vos lèvres ». Il est venu vers nous avec la parole de la grâce, avec le baiser de la grâce. Quoi de plus doux que cette grâce ? Quel est son effet en nous ? « Bienheureux sont ceux dont les iniquités sont remises, dont les péchés sont couverts »[5] S’il venait comme un juge sévère, sans que la grâce fût épanouie sur ses lèvres, qui oserait espérer son salut ? Mais en venant avec la grâce il n’a point exigé ce qu’on lui devait, il a même payé ce qu’il ne devait pas. N’étant point pécheur, devait-il mourir ? Et à toi pécheur, que te revenait-il, sinon la mort ? Il t’a déchargé de tes dettes pour payer ce qu’il ne devait point. C’est là une grâce magnifique. Pourquoi une grâce ? Parce qu’elle est donnée gratuitement. Aussi peux-tu rendre grâces à Dieu, mais non grâce pour grâce ; c’est là l’impossible. Aussi David se demandait ce qu’il devait rendre. « Que rendrai-je au Seigneur », disait-il, « pour tous les biens qu’il m’a rendus ? » Il semble avoir trouvé quelque chose : « Je prendrai le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur »[6]. Mais est-ce bien rendre à Dieu grâce pour grâce, que d’invoquer le Seigneur et de prendre le calice du salut ? Qui donc t’a donné ce calice du salut ? Aussi David se borne-t-il à remercier, car il trouvait impossible de rendre grâce pour grâce. Trouve ce que tu peux offrir à Dieu, sans l’avoir reçu de lui, et tu lui auras rendu grâces. Prends garde néanmoins qu’en cherchant à lui rendre en échange ce que tu n’as point reçu de lui, tu ne trouves ton péché. Assurément tu ne le tiens pas de lui, mais tu ne dois pas le lui offrir non plus. Ce fut là le don des Juifs qui lui rendirent le mal pour le bien ; trempés de la rosée, ils ne lui donnèrent aucun fruit, mais les épines de la douleur[7]. Quel que soit donc le bien que tu veuilles offrir à Dieu, sans l’avoir reçu de lui, tu ne le trouveras pas en toi. « C’est la grâce de Dieu qui est répandue

  1. Ps. 147,15
  2. Id. 44,3
  3. Jn. 1,17
  4. Rom. 7,22-25
  5. Ps. 31,1
  6. Id. 115,12-13
  7. Mt. 27,29