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tout le peuple d’Israël, submerge dans les eaux ennemies qui les poursuivent, les conduit à travers les nations qui se soulèvent, leur assujettit leurs ennemis et les établit dans la terre promise, leur fait remporter avec peu de soldats d’éclatantes victoires sur de grandes armées ; puis, d’autre part, il se plaît à se détourner de son peuple, laisse maltraiter et égorger ses saints, et nul ne résiste, nul ne les défend, nul ne les protège. On dirait que Dieu se dérobe à leurs gémissements, qu’il les a oubliés, qu’il n’est plus leur Dieu, ce Dieu à la main puissante, au bras si élevé, dont la force merveilleuse a, disons-nous, délivré de l’Égypte nos pères ou le peuple d’Israël, les a établis en royaume dans une terre dont il chassait les nations vaincues, à la face des peuples étonnés qu’un si petit nombre pût vaincre un si grand nombre. Tel est l’aveu plein de larmes qui ouvre le chant de notre psaume. Tout cela n’est pas arrivé sans motif, mais afin que nous en comprissions les raisons. Qu’elles soient arrivées, cela est évident ; approfondissons quelque peu les raisons pour lesquelles Dieu l’a permis. Aussi bien le psaume n’a-t-il pas seulement pour titre : « Aux fils de Coré » ; mais : « Intelligence aux fils de Coré »[1]. C’est ce que nous avons déjà vu dans cet autre dont le Sauveur récita sur la croix le premier verset : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? »[2] Car c’était nous que le Seigneur figurait dans ces paroles ; il parlait au nom de son corps (nous sommes en effet son corps, et il est notre chef), quand il proféra sur la croix cette parole qui est moins la sienne que la nôtre. Dieu, en effet, ne l’a jamais abandonné, et lui ne s’était point retiré de son Père ; mais c’était en notre nom qu’il disait : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » En effet, nous lisons ensuite : « Le rugissement de mes péchés éloigne de moi le salut »[3]. Voilà ce qui nous montre au nom de qui il parlait, puisqu’on ne pouvait trouver en lui aucun péché. « Je crierai vers vous pendant le jour », dit le même psaume, « et vous ne m’exaucerez point : et la nuit », il sous-entend assurément, et vous n’exaucerez point ma prière ; il ajoute : « Et ce ne sera point une folie pour moi ». C’est-à-dire, par cela même que vous ne m’écouterez point, il y aura là pour moi, non pas un défaut de sagesse, mais une leçon. Qu’est-ce à dire, que je comprendrai parce que vous ne m’exaucerez point ? c’est-à-dire que vous n’écouterez point mes vœux temporels, afin que je comprenne que je dois vous demander les biens éternels. Dieu en effet n’abandonne pas réellement, quand il semble abandonner ; il nous ôte ce que nous avons tort de désirer, et nous enseigne ce qu’il est bon de demander. Si Dieu nous exauçait toujours dans ce qui regarde les biens de cette vie, si nous avions tout en abondance, ne souffrant dans le cours de cette vie mortelle aucune affliction, aucune nécessité, aucune angoisse, nous croirions que Dieu n’a pas pour ses serviteurs d’autres grands biens que ceux de la terre, et nous n’en désirerions pas de plus excellents. Dieu donc mêle à nos joies de cette vie l’amertume de l’affliction, afin que nous soupirions après une autre vie, dont la douceur est sans danger ; tel est le titre : « Intelligence pour les enfants de Coré ». Écoutons le psaume, afin d’y mieux comprendre encore cette vérité.
3. « Seigneur, nous avons entendu de nos oreilles ; nos pères nous ont raconté l’œuvre que vous avez accomplie en leurs jours, et dans les siècles passés ». Étonnés de ce que le Seigneur paraisse abandonner ceux qu’il veut exercer par les souffrances, les interlocuteurs rappellent ces merveilles qu’ils ont apprises de leurs pères, et semblent dire : Ces maux que nous endurons sont loin de ce que nos pères nous ont raconté. « En vous ont espéré nos pères ; ils ont espéré, et vous les avez délivrés. Pour moi, je suis un ver et non pas un homme. Je suis l’opprobre des hommes, le rebut de la populace »[4]. Ils ont espéré et vous les avez délivrés ; moi j’ai espéré, vous m’avez délaissé ; est-ce donc en vain que j’ai mis en vous ma confiance, en vain que mon nom est écrit sur votre livre, que votre nom est écrit dans mon âme ? Voici donc ce que nous ont raconté nos pères : « Votre main a détruit les nations, et pour eux, vous les avez solidement assis ; vous avez affaibli les peuples, et puis chassés »[5]. C’est-à-dire, vous avez chassé les nations du pays qu’elles possédaient pour y introduire et y asseoir nos pères, et pour affermir leur royaume dans votre miséricorde. Voilà ce que nos pères nous ont raconté.
4. Mais peut-être ont-ils accompli ces merveilles

  1. Ps. 43,1
  2. Id. 21,2
  3. Id. 3
  4. Ps. 21,27
  5. Id. 43,3