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et d’où vient ta tristesse ? Car ton Dieu n’est pour toi l’objet d’aucun doute. Tu ne manques pas de réponse contre ceux qui te disent : « Où est ton Dieu ? » J’ai déjà pressenti l’immuable, pourquoi me troubler encore ? « Espère en Dieu e. Et comme si sou âme lui répondait dans le silence : Pourquoi te troublé-je, sinon parce que je ne suis pas encore où l’on goûte la douceur ineffable, et où je n’ai fait que passer ? Puis-je boire sans crainte ires fontaines ? N’ai-je plus à redouter aucun scandale ? Mes passions sont-elles vaincues, domptées, au point de me laisser en sûreté ? le diable, mon ennemi, n’a-t-il pas toujours l’œil ouvert sur moi ? Chaque jour ne tend-il pas des pièges pour me surprendre ? Tu ne veux point que je te trouble, quand je suis encore en ce monde, exilée loin de la demeure de mon Dieu ! Mais, « espère en Dieu », répond-il à son âme qui le trouble, et qui semble justifier ce trouble par les misères dont le monde est rempli. En attendant, habite là en espérance. « Car l’espérance qui verrait ne serait plus une espérance ; et si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience »[1].
11. « Espère en Dieu ». Pourquoi, « Espère ? » « Parce que je le confesserai encore ». Comment le confesseras-tu ? « Je confesserai qu’il est mon Dieu, le Sauveur qui fixe mes regards »[2]. Le salut ne peut me venir de moi-même, je le publie, je le proclame ; « c’est mon Dieu, qui est le Sauveur que j’envisage ». Comme s’il craignait de perdre ce qu’il connaît en partie, il regarde avec inquiétude que le serpent ne vienne point à se glisser. Il ne dit pas encore : Je suis tout à fait sauvé. Car, possédant les prémices de l’esprit, nous gémissons intérieurement, en attendant que nous soyons adoptés et délivrés de notre corps[3]. Quand le salut sera parfait en nous, nous aurons la vie éternelle dans la maison de Dieu, nous bénirons à jamais celui à qui le prophète chantait : « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront dans les siècles des siècles »[4]. Nous n’avons pas encore ce bonheur, parce que nous ne possédons pas encore ce salut qui nous est promis ; mais je chante le Seigneur dans mon espérance, et je lui dis : « Mon Dieu est le Sauveur qui fixe mes regards ; car l’espérance nous sauve, « et l’espérance qu’on verrait ne serait point une espérance ». Persévère, afin d’arriver ; cours, jusqu’à ce que vienne le salut. Écoute le langage que ton Dieu te tient à l’intérieur : « Attends le Seigneur, que ton cœur s’affermisse et attende le Seigneur[5] ; car celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin[6]. Pourquoi donc cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler ? Espère dans le Seigneur, car je le confesserai de nouveau ». Et voici la confession que je ferai : « C’est mon Dieu, qui est le Sauveur que j’envisage ».
12. « Mon âme s’est troublée en moi-même »[7]. Est-ce en Dieu qu’elle s’est troublée ? Non, c’est en moi. Elle était raffermie en voyant l’immuable, elle s’est troublée en voyant ce qui est assujetti au changement. Je sais que la justice de Dieu demeure éternellement ; quant à la mienne, je ne sais si elle subsistera. Cette parole de l’Apôtre m’effraie : « Que celui qui est ferme prenne garde de tomber »[8]. Donc, parce qu’il n’y a en moi aucune stabilité, et que je ne puis espérer en moi, « mon âme se trouble en moi ». Veux-tu qu’elle ne se trouble point ? Qu’elle ne demeure pas en toi ; mais dis : « Seigneur, j’élève mon âme vers vous »[9]. Écoute plus clairement encore. N’espère jamais de toi, mais de ton Dieu. Si tu comptes en effet sur toi-même, ton âme se trouble, car elle ne trouve rien qui la rassure à ton sujet. Donc puisque mon âme se trouble en moi, que me reste-t-il sinon l’humilité, afin que mon âme ne présume point d’elle-même ? Que lui reste-t-il, sinon de s’anéantir afin de mériter d’être élevée ? De ne rien s’attribuer, afin que Dieu lui donne ce qui sera utile ? Donc, parce que mon âme se trouble en moi, et que ce trouble vient de l’orgueil : « Alors je me suis souvenu de vous, Seigneur, dans la terre du Jourdain, sur la colline d’Hermon »[10]. D’où m’est venu ce souvenir de vous ? D’une petite hauteur, dans la terre du Jourdain. Peut-être veut-il dire du baptême, où Dieu accorde la rémission des péchés. Nul en effet ne court à la rémission des péchés, s’il ne se déplaît à lui-même ; nul ne court à la rémission du péché qu’en s’avouant pécheur ; et nul ne s’avoue pécheur qu’en s’humiliant devant Dieu. Donc, je me suis souvenu de vous «

  1. Rom. 8,24-25
  2. Ps. 41,7
  3. Rom. 8,23
  4. Ps. 83,5
  5. Ps. 26,14
  6. Mt. 10,22 ; 24,13
  7. Ps. 51,7
  8. 1 Cor. 10,12
  9. Ps. 24,1
  10. Ps. 40,7