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conseils pour la conduite de sa vie[1] ? Il y a donc quelque chose de visible pour l’esprit qui domine, qui gouverne, qui habite le corps ; quelque chose qu’il ne connaît ni par les yeux du corps, ni par les oreilles, ni par les narines, ni par le palais, ni par le contact du corps, mais par lui-même ; et ce qu’il connaît par lui-même est bien supérieur à ce qu’il connaît par son esclave. Cela est indubitable ; car l’esprit se connaît par lui-même ; et, pour se connaître, il se voit. Mais, pour se voir, il n’a point recours aux yeux du corps ; il fait même abstraction de tous les sens du corps comme d’autant d’obstacles et d’embarras, afin de rentrer en lui-même, de se voir en lui-même, de se connaître par lui-même. Mais Dieu est-il donc quelque chose de semblable à notre âme ? lieu sans doute ne peut être vu que de l’esprit, mais non à la manière de l’esprit. Car cette âme cherche quelque chose qui est Dieu, et dont on ne puisse lui dire insolemment : « Où est ton Dieu ? » Elle cherche une vérité immuable, nue substance indéfectible. Or, telle n’est pas notre âme qui a ses défauts, ses progrès, qui menait et qui ignore, qui se souvient et qui oublie, qui veut aujourd’hui, qui ne veut plus demain, Or, Dieu n’est point assujetti au changement. Si Dieu était assujetti au changement, ils m’insulteraient à bon droit, ceux qui me disent : « Où est ton Dieu ? »
8. Cherchant donc mon Dieu dans les choses visibles et corporelles, et ne le trouvant point ; cherchant encore en moi sa substance, assume s’il était de même nature que moi, et ne l’y trouvant pas plus, je sens que mon Dieu est supérieur à mon âme. Donc, afin de l’atteindre : « J’ai médité ces choses et répandu mon âme au-dessus de moi »[2]. Quand mon esprit pourrait-il atteindre ce que l’on doit chercher dans des régions supérieures, s’il ne se répandait au-dessus de lui-même ? À demeurer en lui-même, il ne versait que lui ; et en se voyant il ne verrait point Dieu. Que mes insulteurs me disent maintenant : « Où est ton Dieu ? » oui, qu’ils me disent : pour moi, tant que je ne verrai point, tant que je suis éloigné, je me nourris suit et jour de mes larmes. Qu’ils me disent encore : « Où est ton Dieu ? » je cherche mon dieu dans tous les corps, soit terrestres, soit célestes, et ne le trouve point ; je le cherche dans la substance de mon âme, et ne le trouve point ; et toutefois, j’ai résolu de chercher mon Dieu, et de comprendre par les créatures visibles les beautés invisibles de Dieu[3] ; « et j’ai répandu mon âme au-dessus de moi » ; il ne me reste plus rien à atteindre, si ce n’est mon Dieu ; c’est là, c’est au-dessus de mon âme qu’est la demeure de mon Dieu ; c’est là qu’il habite, c’est de là qu’il me regarde, de là qu’il m’a créé, de là qu’il me dirige, de là qu’il me conseille, de là qu’il me stimule, de là qu’il m’appelle, de là qu’il me redresse, de là qu’il me conduit, de là qu’il me fait aboutir.
9. En effet, lui qui a dans le secret une maison infiniment élevée, a aussi son tabernacle sur la terre ; et ce tabernacle, c’est son Église, encore étrangère. C’est là qu’il faut chercher Dieu, parce que dans ce tabernacle on trouve le chemin qui conduit à son palais. Quand je répandais mon âme dans les régions supérieures, pour chercher mon Dieu, quel était mon dessein ? « d’entrer dans le tabernacle du Seigneur ». Car je ne puis errer en dehors de ce tabernacle en cherchant mon Dieu. « Parce que j’entrerai dans le lieu de votre tabernacle admirable, jusqu’à la maison de Dieu ». J’entrerai donc dans le lieu de cette tente admirable, jusqu’à la maison de Dieu. Combien n’ai-je pas à admirer dans ce tabernacle ? Voici toutes les merveilles qu’il présente à mon admiration. Ce tabernacle de Dieu sur la terre, ce sont les âmes des fidèles ; j’admire en eux la subordination des membres, car le péché ne règne plus en eux pour les assouplir à ses convoitises ; ils ne font pas de leurs membres des instruments d’iniquité pour servir au péché, mais ils les font servir au Dieu vivant par leurs bonnes œuvres. J’admire les membres du corps devenus des armes pour l’âme qui sert Dieu[4]. Je jette les yeux sur cette âme soumise à Dieu, et qui règle toutes les œuvres de son activité, qui met un frein à ses convoitises, qui repousse l’ignorance, qui s’étudie à supporter ce qu’il y a de dur et de difficile, qui se maintient pour les autres dans la justice et dans la charité. J’admire dans une âme toutes ces vertus ; mais je ne suis encore que dans le tabernacle. Je m’élève encore au-delà ; et quelles que soient les merveilles du tabernacle, je suis dans la stupeur quand j’arrive à la maison de

  1. Tob. 4,2
  2. Ps. 41,5
  3. Rom. 1,20
  4. Id. 6,12-13