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mais aussi contre moi, car il faut les juger d’après leurs intentions. De ce qu’ils n’aient rien pu faire, n’en concluons pas qu’ils ne voulaient rien faire. Le diable aussi voulut exterminer le Christ, et Judas le voulut mettre à mort : mais la mort et la résurrection du Christ nous ont donné la vie ; et néanmoins le diable et Judas ont reçu la récompense de leur volonté perverse, et non point de notre salut. Car, vous le savez, c’est d’après l’intention qu’un homme doit être jugé digne de récompense ou de châtiment, et nous voyons des hommes faire à d’autres des souhaits tels que nous pouvons le désirer, et qui sont accusés de malédiction. Quand cet homme, jadis aveugle, mais dont les yeux elle cœur étaient rendus à la lumière, confondait les Juifs aux yeux ouverts, au cœur aveugle, « Voulez-vous », leur dit cet homme déjà éclairé, « voulez-vous aussi être ses disciples ? »« Mais eux », dit l’Évangile, « s’écrièrent en le maudissant : Pour toi, sois son disciple »[1]. Puisse tomber sur chacun de nous cette malédiction qu’ils lui jetaient ! Elle est appelée malédiction à cause de l’erreur malveillante de ceux qui la profèrent, et non du mal que contiennent les expressions : l’historien qui nous la raconte envisage plutôt leur intention que leurs paroles. « Ils méditaient le mal contre moi »[2]. Or, quel mal arriva-t-il au Christ, quel mal aux martyrs ? Dieu changea tout en bien.
10. « Ils ont arrêté contre moi une parole d’iniquité ». Quelle parole d’iniquité ? Jette les yeux sur notre chef : « Tuons-le, et l’héritage sera pour nous »[3]. Insensés, comment donc aurez-vous son héritage ? Parce que vous l’aurez tué ? Eh bien ! le voilà tué, et l’héritage ne sera point pour vous. « Celui qui dort ne se relèvera-t-il donc pas ? » Quand sa mort vous donnait des jubilations, il dormait ; car il dit dans un autre psaume : « Pour moi, j’ai dormi ». Ses ennemis furieux voulurent le mettre à mort : « Pour moi », dit-il, « j’ai dormi ». Car si je l’avais voulu, je n’aurais éprouvé aucun sommeil. « Je me suis endormi, parce que j’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la reprendre[4]. J’ai dormi, j’ai pris mon sommeil et je me suis éveillé5 »[5]. Que les Juifs donc s’emportent, que la terre soit livrée aux mains de l’impie[6], que mon corps soit entre les mains des persécuteurs, qu’ils le suspendent à la croix, l’y attachent avec des clous, le percent d’une lance : « Celui qui dort ne se lèvera-t-il point ? » Pourquoi a-t-il dormi ? Parce que le vieil Adam était la figure de l’Adam futur[7] : « Et Adam dormait quand Dieu tira Eve de son côté »[8], Adam était donc la figure du Christ, Eve la figure de l’Église : d’où elle fut appelée mère des vivants. Quand le Seigneur forma-t-il Eve ? Quand Adam dormait. Quand les sacrements de l’Église coulèrent-ils du flanc du Christ ? Quand il dormait sur la croix. « Celui qui dort ne se lèvera-t-il donc point ? »
11. D’où vient ce sommeil ? De celui qui est entra pour voir, et qui s’est amassé l’iniquité. « Car l’homme de ma paix, en qui je me confiais, qui mangeait mon pain, a levé le talon contre moi »[9]. Il a levé le pied contre moi, il a voulu me frapper. Quel est cet homme de sa paix ? Judas. Mais le Christ a-t-il eu confiance en lui, pour dire : « En qui je me confiais ? » Ne le connaissait-il point dès le commencement ? Ne savait-il pas ce qu’il serait avant qu’il fût né ? N’avait-il pas dit à ses disciples : « Je vous ai choisis douze et l’un de vous est un démon ? »[10] Comment donc a-t-il espéré en lui, sinon parce que ce Judas est parmi ses membres, et que plusieurs fidèles ayant espéré en Judas, le Seigneur se personnifie en eux ? Beaucoup de ceux qui croyaient en Jésus-Christ voyaient Judas marcher parmi les douze disciples, et quelques-uns espéraient en lui ; car il était semblable aux autres ; et parce que le Christ était en cens de ses membres qui avaient cet espoir, comme il est dans ceux qui ont faim et soif, il a pu dire : « J’ai eu confiance », comme il a dit : « J’ai eu faim ». Si donc nous lui disons : Seigneur, quand avez-vous espéré ? comme on lui a dit : Quand avez-vous eu faim ? de même que dans cette occasion il nous a dit : Ce que vous aven fait au plus petit des miens, c’est à moi que vous l’avez fait ; de même il peut nous dire ici : Quand le moindre des miens avait confiance en Judas, c’était moi qui avais confiance, En qui ai-je eu la confiance ? En « l’homme de ma paix, en qui j’ai espéré, qui mangeait mon pain ». Comment l’a-t-il désigné dans sa passion, d’après ces paroles du Prophète ? Il le fit

  1. Jn. 9,27-28
  2. Ps. 40,9
  3. Mt. 21,38
  4. Jn. 10,18
  5. Ps. 3,6
  6. Job. 9,24
  7. Rom. 5,14
  8. Gen. 2,21
  9. Ps. 40,10
  10. Jn. 6,71