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la puissance de donner sa vie, et la puissance de la reprendre[1] ; mais les membres parlaient dans la personne du chef, et le chef parlait au nom des membres. C’est donc en notre nom, qu’il exhale cette plainte : « Guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous ». Car nous étions en lui, quand il dit : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? »[2] En effet, dans le psaume qui contient ce verset, nous lisons à la suite : « Les rugissements de mes péchés »[3]. Quel péché y avait-il en lui, sinon que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché fût anéanti, et que désormais nous ne fussions plus esclaves du péché[4]. Disons-lui donc, et disons en lui : « Pour moi, Seigneur, prenez-moi en pitié, guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous ».
7. « Mes ennemis m’outragent dans leurs discours, ils ont dit : Quand mourra-t-il, quand périra son nom ? »[5] Nous avons déjà imposé ces paroles, nous avons commencé par là ; allons plus loin, il n’est pas nécessaire de répéter ce qui est frais encore dans votre mémoire et dans vos cœurs.
8. « Ils entraient afin de me voir »[6]. L’Église endure ce qu’a enduré le Christ, la passion du chef devient la passion des membres. Le serviteur est-il donc plus grand que son Seigneur, et le disciple au-dessus du maître ? « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront à votre tour ; s’ils ont traité de Béelzébub le père de famille, combien plus ses serviteurs[7] ? Ils entraient donc afin de voir ». Ce Judas était près de notre chef, il entrait auprès de notre chef, afin de voir, c’est-à-dire d’espionner ; non pas afin de trouver des motifs de croire, mais afin d’avoir quoi de trahir. Celui-là donc entrait afin de voir, et notre chef a voulu nous servir d’exemple. Qu’est-il arrivé ensuite aux membres après l’exaltation du chef ? Saint Paul n’a-t-il pas dit : « Quelques faux frères se sont introduits dans l’Église pour espionner notre liberté ? »[8] Ceux-là aussi entraient donc pour voir. Il est en effet des hypocrites, des méchants déguisés, qui se joignent à nous sous les apparences de la charité, qui épient tous les mouvements, toutes les paroles des saints, qui tendent partout des pièges. Et que leur arrive-t-il ? Lisez ensuite : « Leur cœur a proféré des choses vaines » ; c’est-à-dire, qu’ils affectent dans leurs discours une feinte charité ; ce qu’ils disent est vain, sans vérité, sans solidité. Et comme ils cherchent les occasions de nous accuser, que dit le prophète ? « Ils se sont amassé l’iniquité ». Car nos ennemis préparent des calomnies contre nous ; c’est beaucoup pour eux d’avoir des prétextes de nous accuser. « Ils ont amassé contre eux l’iniquité ». Contre eux, dit le Prophète, et non contre moi. De même que Judas le fit contre lui-même, et non contre le Christ, ainsi les hypocrites le font contre eux, non contre l’Église ; car c’est d’eux qu’il est dit ailleurs « L’iniquité a menti contre elle-même[9]. C’est contre eux-mêmes qu’ils ont amassé l’iniquité ». Et de même qu’ils entraient pour voir, « ils sortaient dehors et ils parlaient ». Celui qui était entré pour voir, sortait dehors et parlait. Plût à Dieu qu’il fût dedans et qu’il parlât selon la vérité ! Il ne sortirait point dehors où il dit le mensonge. Il est un traître et un persécuteur, celui qui sort au-dehors pour parler. Si tu fais partie des membres du Christ, viens à l’intérieur, demeure uni au chef. Tolère l’ivraie, si tu es le bon grain ; tolère la paille, si tu es le froment[10] ; si tu es un bon poisson, souffre dans le filet des poissons mauvais. Pourquoi t’envoler avant qu’il soit temps de vanner ? Pourquoi prévenir le temps de la moisson, pour arracher le froment avec toi ? Pourquoi rompre le filet avant d’être sur les bords ? « Ils sortaient dehors, et ils parlaient ».
9. « Tous mes ennemis tenaient contre moi le même langage »[11]. Ils tenaient le même langage contre moi ; combien eût-il été mieux qu’ils tinssent un même langage avec moi ? Qu’est-ce à dire : « Le même langage contre moi ? » ils formaient tous le même dessein, la même conspiration. C’est donc le Christ qui leur dit : Vous vous unissez contre moi, unissez-vous à moi. Pourquoi contre moi ? pourquoi pas avec moi ? Si vous aviez toujours le même sentiment, vous ne seriez point déchirés par le schisme. Car l’Apôtre leur dit : « Je vous supplie, mes frères, d’avoir tous le même langage, afin qu’il n’y ait aucun schisme parmi vous »[12]. Mes ennemis murmuraient contre moi le même langage ; tous méditaient le mal contre moi », ou plutôt contre eux, car ils se sont amassé l’iniquité ;

  1. Jn. 10,18
  2. Mt. 27,46
  3. Ps. 21,2
  4. Rom. 6,6
  5. Ps. 40,6
  6. Id. 8
  7. Mt. 10,24
  8. Gal. 2,4
  9. Ps. 26,12
  10. Mt. 13,30
  11. Ps. 40,8
  12. 1 Cor. 1,10