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Toute âme infirme en cette vie cherche quelque chose de terrestre où elle se puisse reposer, car elle ne peut supporter que difficilement la fatigue d’une tension de l’esprit vers Dieu ; elle cherche donc sur la terre quelque objet qui lui serve de repos, où elle puisse en quelque sorte s’étendre et faire une pose, comme sont les choses que peuvent aimer les âmes innocentes. Il n’est point ici question de ces convoitises perverses qui font que les uns se délassent au théâtre, les autres dans le cirque, dans l’amphithéâtre, celui-ci dans les jeux, celui-là dans la bonne chère, plusieurs dans les voluptés de l’adultère, d’autres dans les violences de la rapine, d’autres enfin dans la fraude et dans les artifices de la fourberie ; tout cela est pour ces hommes un délassement. Comment un délassement ? lis y trouvent une félicité. Mais éloignons tout cela pour en venir à l’homme innocent. Il trouve son repos dans sa maison, dans sa famille, dans son Épouse, dans ses enfants, dans sa pauvreté, dans son champ médiocre, dans le petit jardin qu’il a planté, dans quelque bâtisse qu’il a faite avec soin ; c’est en cela que se délassent les justes. Toutefois, Dieu qui veut que nous n’ayons d’amour que pour la vie éternelle, mêle des amertumes à nos plaisirs les plus innocents, afin de nous y faire sentir la tribulation et de retourner ainsi notre couche, dans notre infirmité. « Pendant mon infirmité vous avez bouleversé toute ma couche ». Qu’il ne cherche donc point pourquoi il trouve des épines même dans ses œuvres les plus innocentes. L’amertume des choses de la terre lui apprend à s’élever à un amour supérieur ; de peur que ce voyageur qui va dans sa patrie ne prenne l’hôtellerie pour sa maison, « vous avez bouleversé toute sa couche pendant son infirmité ».
6. Mais pourquoi en agir ainsi ? C’est que Dieu flagelle celui qu’il reçoit parmi ses enfants »[1]. Pourquoi encore ? Parce qu’il a été dit à l’homme : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front »[2]. Si donc l’homme doit reconnaître que c’est à cause de ses péchés, qu’il subit tous ces châtiments dont Dieu se sert pour bouleverser notre couche dans notre infirmité, qu’il se convertisse et qu’il se dise : « Pour moi, j’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, car j’ai péché contre vous ». O mon Dieu, exercez-moi par les châtiments ; vous jugez bon d’exercer celui que vous recevez parmi vos enfants, vous qui n’avez pas épargné votre Fils unique. Pour lui, il a subi le châtiment sans être coupable ; et moi je dis : « Ayez pitié de moi, guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous ». S’il a subi des incisions, celui qui n’avait aucune gangrène ; si, lui qui est pour nous la guérison, n’a pas dédaigné les brûlures du remède ; pouvons-nous témoigner de l’impatience, quand le médecin nous coupe et nous brûle, c’est-à-dire, nous met à l’épreuve de toutes les tribulations, nous guérit de notre péché ? Livrons-nous donc entièrement à la main du médecin : il n’est pas dans l’erreur, et ne tranche point la chair vive au lieu de la chair corrompue ; il juge de ce qu’il voit, il sait jusqu’où va le mal, lui qui a fait la nature ; il discerne ce qui est son œuvre et ce qui est l’œuvre de nos convoitises. Il sait qu’il a donné à l’homme en santé des préceptes pour l’empêcher de tomber dans la langueur ; qu’il lui a dit dans le paradis : Mange ceci, ne touche point à cela[3]. L’homme en santé n’a pas écouté le précepte du médecin qui l’aurait empêché de tomber ; qu’il l’écoute dans sa maladie, afin d’en relever. « Pour moi, j’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi, guérisses mon âme, parce que j’ai péché contre vous ». Dans mes actions, dans mes fautes, je n’accuse pas le hasard, je ne dis pas : Voilà ce que m’a fait le destin ; je ne dis point : C’est Vénus qui m’a fait adultère, Mars qui m’a fait brigand, Saturne qui m’a fait avare ; « j’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous ». Est-ce le Christ qui parle ainsi ? Est-ce lui, notre Chef sans péché ? Est-ce lui qui a restitué ce qu’il n’avait point enlevé[4] ? Est-ce lui qui seul est libre parmi les morts[5] ? Il était libre en effet parmi les morts, parce qu’il était sans péché ; puisque tout homme qui pèche devient esclave du péché[6]. Est-ce donc bien lui ? C’est lui dans ses membres, car la voix de ses membres est sa voix, comme la voix de notre chef est notre voix. Nous étions en lui quand il disait : « Mon âme est triste jusqu’à la mort »[7]. Car il ne craignait pas de mourir, lui qui était venu pour mourir ; il ne refusait pas de mourir, celui qui avait

  1. Héb. 12,6
  2. Gen. 3,19
  3. Gen. 2,16-17
  4. Ps. 68,5
  5. Id. 87,6
  6. Jn. 8,34
  7. Mt. 26,38