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chef avait entendu. Le Seigneur était remonté lins les cieux et souffrait encore en nous sur la terre, lorsque ses ennemis dirent : « Quand mourra-t-il et quand périra son nom ? » De là viennent les persécutions que Satan souleva contre l’Église pour perdre le nom du Christ. Ne croyez pas en effet, mes frères, que les païens qui sévissaient contre les chrétiens, ne se proposaient pas d’effacer de la terre le nom du Christ. C’est pour tuer le Christ, non plus dans le chef, mais dans les membres, que l’on égorgea les martyrs. Or, l’effusion de ce sang précieux servit à multiplier les membres l’Église, et la mort des martyrs fut ajoutée à cette semence divine. La mort de ses justes précieuse devant le Seigneur[1]. Les chrétiens allèrent donc chaque jour se multipliant, et ce souhait de leurs ennemis. « Quand mourra-t-il, quand périra son nom ? » ne fut pas accompli. On le fait encore aujourd’hui. On voit les païens se réunir, compter les années, prêter l’oreille au dire de certains fanatiques : Un jour viendra qu’il n’y aura plus de chrétiens[2] ; le culte de nos idoles sera rétabli comme auparavant. Ils disent encore : « Quand mourra-t-il, quand périra son nom ? » Deux fois vaincus, soyez donc sages pour la troisième : le Christ est mort, et son nom n’a point disparu ; les martyrs sont morts, et l’Église s’en accroît davantage, et le nom du Christ se répand dans toutes les nations ; lui qui a prédit sa mort et sa résurrection, qui a prédit la mort et le couronnement des martyrs, a prédit aussi ce qui doit arriver à son Église. S’il a dit vrai deux fois, aura-t-il menti la troisième ? Vous n’avez donc contre lui qu’une fausse opinion ; mieux vaudrait pour vous croire en lui, « afin de comprendre sa pauvreté, son indigence[3] ; car de riche qu’il était, il s’est fait pauvre, afin que vous fussiez enrichis de sa pauvreté »[4], dit saint Paul. Cette pauvreté est pour lui une cause de mépris, et l’on dit : C’était un homme. Que pouvait-il être ? Il est mort, il a été crucifié : vous rendez un culte à un homme, vous mettez votre espoir dans un homme, vous adorez un mort. Erreur. Comprends donc, ô mon frère, ce pauvre, cet indigent, afin que sa pauvreté t’enrichisse. Comprends-tu le pauvre et l’indigent ? Sais-tu bien que c’est le Christ lui-même qui est ce pauvre, cet indigent d’un autre psaume : « Pour moi, je suis pauvre, je suis indigent, mais le Seigneur a pris soin de moi ? »[5] Qu’est-ce que comprendre le pauvre et l’indigent ? C’est comprendre « qu’il s’est anéanti, prenant la forme d’un esclave, se rendant semblable aux autres hommes, reconnu homme par ses dehors » ; lui qui était riche devant son Père, pauvre à nos yeux ; riche dans le ciel, pauvre sur la terre ; riche parce qu’il était Dieu, pauvre parce qu’il était homme. Ton trouble viendrait-il de ce que tu vois un homme, tu vois une chair, tu envisages sa mort, tu persifles sa croix ? C’est là ton trouble ? Comprends donc ce pauvre, cet indigent. Qu’est-ce à dire ? Comprends que, dans cette infirmité que tu vois, il y a une divinité cachée ; qu’il est riche, parce qu’il l’est de lui-même ; qu’il est pauvre, parce que tu l’étais. Sa pauvreté néanmoins fait notre richesse, comme son infirmité fait notre force, comme sa folie fait notre sagesse, comme sa nature mortelle fait notre immortalité[6]. Considère quel est ce pauvre, n’en juge point par la pauvreté des autres. Il est venu enrichir les pauvres, lui qui s’est fait pauvre. Ouvre donc le giron de ta foi, et reçois-y ce pauvre pour ne pas demeurer dans ta pauvreté.
2. « Bienheureux celui qui comprend le pauvre et l’indigent, le Seigneur le délivrera au jour mauvais »[7]. Ce jour mauvais viendra ; bon gré mal gré, il viendra ; viendra le jour du jugement, jour mauvais si tu n’as pas compris le pauvre et l’indigent. Car alors apparaîtra clairement ce que tu refuses de croire aujourd’hui ; mais tu ne pourras échapper à l’évidence, toi qui ne crois pas à l’invisible. Tu es invité à croire ce que tu ne vois pas, afin d’échapper à la confusion lorsque tu verras. Comprends donc le pauvre et l’indigent, c’est-à-dire Jésus-Christ, comprends les richesses cachées dans celui que tu vois pauvre. Car en lui sont cachés les trésors de la sagesse

  1. Ps. 115,15
  2. Saint Augustin nous dit, dans la Cité de Dieu (liv. 18, chap. XXXV), que les païens voyant que des persécutions et si nombreuses n’avaient pu mettre fin à la religion chrétienne, mais qu’elle y puisait même une force merveilleuse d’accroissement, inventèrent je ne sais quels vers grecs, formant la réponse des oracles à une consultation, et qui attribuent à saint Pierre d’avoir usé de maléfices pour faire adorer le Christ pendant 365 ans après lesquels ce culte devait immédiatement disparaître. Mais si l’on part de la première prédication de saint Pierre à la Pentecôte, ce nombre d’années doit échoir à la 399e du Christ ; et ce culte est si loin de disparaître, qu’il renverse au contraire ce qui des temples des dieux, qu’il brise les idoles, et règne glorieusement. ( Cité de Dieu, liv. 18, chap. LIV.)
  3. Ps. 40,10
  4. 2 Cor. 8,9
  5. Ps. 39,18
  6. 1 Cor. 1,30
  7. Ps. 40,2