Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/442

Cette page n’a pas encore été corrigée

aimeras ton ennemi ; tâche de te guérir. Dans les tribulations, dans les angoisses, dans les tentations, sois fort, sois constant ; c’est la main d’un médecin et non d’un larron. Mais, dit le pécheur, après avoir accompli les préceptes, en commençant par la foi ; après avoir purifié mon cœur selon vos conseils, que verrai-je, une fois que mon cœur sera guéri, purifié ? » Bienheureux ceux dont le cœur est « pur, parce qu’ils verront Dieu »[1]. Pour cela, répond-il, je ne le puis aujourd’hui, puisque « je ne puis voir à cause des iniquités qui m’ont investi ».
22. « Elles sont plus nombreuses que les cheveux de ma tête »[2]. Il prend les cheveux de sa tête pour exprimer un grand nombre. Qui peut compter les cheveux de sa tête ? Encore moins ses péchés, plus nombreux que ses cheveux. Ils paraissent petits, mais le nombre en est grand. Tu as évité les plus graves, tu ne commets point l’adultère, tu t’abstiens de l’homicide, tu ne ravis pas le bien d’autrui, tu ne profères ni blasphème, ni faux témoignage : ce sont là les montagnes du péché. Tu as donc évité les plus graves, mais que fais-tu des moindres ? Ces moindres, ne les crains-tu pas ? Tu as jeté la montagne loin de toi, prends garde que le sable ne t’ensevelisse. « Mes iniquités sont plus nombreuses que les cheveux de ma tête »[3].
23. « Et mon cœur a défailli ». Faut-il s’étonner que ton cœur soit éloigné de Dieu, quand il s’abandonne lui-même ? Qu’est-ce à dire : Mon cœur a défailli ? C’est-à-dire, mon cœur ne peut point se connaître lui-même. Voilà ce que signifie : « Mon cœur a défailli ». C’est par le cœur que je veux voir le Seigneur, et je ne le puis, à cause du grand nombre de mes péchés. C’est peu encore : mon cœur ne peut même se comprendre. Non, mon cœur ne se comprend point, que nul ne le croie. Est-ce que Pierre se connaissait dans son propre cœur, quand il disait : « Je serai avec vous jusqu’à la mort3 ? » Il avait dans le cœur une fausse présomption, il y cachait une véritable crainte : et son cœur ne pouvait comprendre son cœur. Son cœur ne se croyait point malade, mais le médecin le voyait. Ce qui lui fut alors prédit s’accomplit. Dieu voyait en lui ce que lui-même n’y voyait point ; c’est que son cœur l’avait abandonné, c’est que son cœur était caché à son cœur même. « Et mon cœur a défailli ». Mais quoi ! quels doivent être nos cris ? nos paroles ? « Qu’il vous plaise, Seigneur, de me délivrer »[4]. Comme s’il disait : « Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir[5]. Qu’il vous plaise, Seigneur, de me délivrer, soyez attentif à me secourir ». Ce langage est celui des membres pénitents, des membres qui souffrent, des membres qui crient sous le fer des médecins, mais qui espèrent. « Seigneur, soyez attentif à me secourir ».
24. « Qu’ils soient confondus et couverts de honte, ceux qui cherchent mon âme pour me la ravir »[6]. Dans un autre endroit il se plaint en disant : « Je regardais à droite, et je voyais, et nul ne cherchait mon âme »[7] ; c’est-à-dire, nul ne cherchait à m’imiter. C’est le langage du Christ dans sa Passion : Je regardais à ma droite, non pas du côté des Juifs impies, mais à ma droite, du côté des Apôtres eux-mêmes. « Et nul ne recherchait mon âme ». Ils étaient si loin de rechercher mon âme, que le plus présomptueux renia mon âme[8]. Mais comme on peut rechercher un homme, ou pour jouir de son amitié, ou pour le persécuter, le Christ veut ici couvrir de honte et flétrir certains autres qui recherchent son âme. Et pour qu’on n’attribue pas ses paroles le même sens qu’à sa plainte, qu’on ne recherche point son âme, il ajoute : « Afin de la ravir » ; c’est-à-dire, ils cherchent mon âme avec des desseins de mort : qu’ils soient donc, poursuit-il, confondus et flétris. Beaucoup en effet ont cherché son âme, et n’ont trouvé que la honte et la confusion ; ils ont cherché son âme, et dans leur intention ils la lui ont ôtée ; mais il avait le pouvoir de la donner et le pouvoir de la reprendre[9]. Ils tressaillirent donc lorsqu’il la donna, et furent dans la confusion quand il la reprit. « Qu’ils soient dans la honte et dans la confusion, ceux qui cherchent mon âme pour me la ravir ».
25. « Qu’ils reculent en arrière, chargés d’ignominie, ceux qui me veulent du mal »[10]. Ne prenons pas en mauvaise part ces paroles : « Qu’ils reculent en arrière ». C’est un bien qu’il leur souhaite ; c’est la parole de celui qui dit sur la croix : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils

  1. Mt. 5,8
  2. Ps. 39,13
  3. Mt. 26,35
  4. Ps. 39,14
  5. Mt. 8,2
  6. Ps. 39,15
  7. Id. 141
  8. Mt. 26,70
  9. Jn. 10,18
  10. Ps. 39,15