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que voient vos yeux ? « Que mon être n’est rien devant vous »
10. « En vérité, tout homme vivant sur la terre n’est que vanité »[1]. « En vérité », dit le Prophète, de quoi parlait-il alors ? Voilà que j’ai passé en revue tout ce qui est périssable, j’ai méprisé tout ce qui est ignoble, j’ai foulé aux pieds ce qui est terrestre, je me suis élevé jusqu’aux délices de la loi du Seigneur, j’ai supputé avec hésitation le nombre des jours du Seigneur, j’ai désiré cette fin qui n’a point de fin, j’ai demandé pour mes jours un nombre qui subsiste, parce que le nombre des jours d’ici-bas n’est rien en vérité ; me voilà donc aujourd’hui, élevant mes désirs bien au-dessus de tout cela, si j’aspire après les choses qui demeurent : « En vérité », quel que soit mon état ici-bas, tant que je suis en ce monde, tant que je porte une chair mortelle, tant que la vie de l’homme sur la terre est une épreuve[2], tant que je gémis au milieu des scandales, tant que moi qui suis debout, j’ai à craindre la chute, tant que je suis dans l’incertitude et de mes maux et de mes liens, « tout n’est que vanité chez l’homme qui vit ici-bas ». « Tout homme », dis-je, et l’homme en retard, et l’homme qui devance les autres, et Idithun lui-même, est tributaire de la vanité : car imité des vanités, tout est vanité ; qu’a de plus l’homme de tout le labeur qui le consume sous le soleil ?[3] Mais Idithun est-il donc sous le soleil encore ? D’une part, il est sous le soleil, d’autre part, il est bien supérieur au soleil. Il est sous le soleil alors qu’il veille, qu’il dort, qu’il mange, qu’il boit, qu’il a faim, qu’il a soif, qu’il a de la vigueur, qu’il ressent la fatigue, qu’il redevient enfant, qu’il rajeunit, qu’il vieillit, qu’il est dans l’incertitude au sujet de ses désirs et de ses craintes ; en tout cela Idithun est sous le soleil, bien qu’il devance les autres. En quoi donc les devance-t-il ? Par ce désir : « Seigneur, faites-moi connaître ma fin »[4]. C’est là un désir supérieur, qui domine tout ce qui est sous le soleil. Les choses visibles sont sous le soleil mais tout ce qui est invisible n’est pas sous le soleil. La toi ne se voit point, l’espérance ne se soit point, la charité ne se voit point, la bonté ne se voit point ; enfin on ne voit point cette crainte chaste qui demeure dans les siècles des siècles[5]. Idithun trouvant en cela sa joie et sa consolation, et s’élançant au-delà du soleil, parce que sa conversation est dans le ciel, gémit de tout ce qu’il a sous le soleil il méprise tout cela et s’en afflige, et aspire avec amour à tout ce qui est du ciel. Il a parlé des choses d’en haut, laissons-le parler des choses d’en bas. Vous avez entendu ce qu’il faut désirer, écoutez ce qui est à mépriser « En vérité, tout homme vivant est vanité ».
11. « Quoique l’homme passe dans l’image »[6]. Dans quelle image, sinon de celui qui a dit : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance ? »[7] « Quoique l’homme passe dans l’image ». Il dit ici « quoique », parce que cette image est quelque chose de grand. Et après ce « quoique » vient un « cependant » ; et de la sorte « quoique » marquera ce qui est au-delà du soleil, et « cependant » désignera ce qui est sous le soleil ; l’un a rapport à la vérité, l’autre à la vanité. « Quoique l’homme passe dans l’image, toutefois un rien le trouble ». Écoute son trouble et vois si ce n’est pas une futilité, afin de la fouler aux pieds, de la laisser en arrière, et de te réfugier dans les cieux, où il n’y a plus de vanité. Quelle est cette vanité ? « L’homme amasse des trésors et ne sait pour qui ». O folie de la vanité ! « Bienheureux celui qui a mis son espérance dans son Dieu, qui ne s’est point arrêté aux vanités et aux folies du mensonge »[8]. O avare, tu prends mes paroles pour du délire ; mon langage à tes yeux ressemble aux contes de vieilles femmes. Car toi, dans les profondeurs de ton esprit, dans ta rare prudence, tu imagines chaque jour des moyens d’acquérir de l’argent par le négoce, par l’agriculture, souvent peut-être par l’éloquence, par la jurisprudence, par la milice, et même par l’usure. En homme judicieux, tu n’omets rien, absolument rien, pour entasser argent sur argent et Je resserre avec soin dans l’ombre. Tu sais voler un homme et éviter le voleur ; tu crains pour toi ce que tu fais aux autres, et ce que l’on te fait ne te corrige pas. Mais on ne te fait rien, j’y consens ; tu es un homme prudent ; non seulement tu sais amasser, mais tu sais conserver : tu sais où il faut placer, à qui tu dois prêter, afin de ne rien perdre de ce que tu as amassé. J’interroge donc ton cœur, je fais appel à ta prudence : voilà que tu as amassé, et que tu as si bien

  1. Ps. 38,6
  2. Job. 7,1
  3. Eccl. 1,2-3
  4. Ps. 38,5
  5. Id. 18,10
  6. Ps. 38,7
  7. Gen. 1,26
  8. Ps. 39,5