Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/419

Cette page n’a pas encore été corrigée

pas être le seul pour recevoir ce qui vient de Dieu. Que par leur bouche Idithun dise aussi : « Seigneur, faites-moi connaître ma fin ».
7. « Et quel est le nombre de mes jours ? »[1] le cherche ce nombre de jours qui est. Je puis lire et même comprendre un nombre sans nombre, comme il y a des années sans années. Dire années en effet, c’est comme dire un nombre ; et toutefois : « Vous êtes le même, Seigneur, et vos années ne finiront point »[2]. Faites-moi donc connaître le nombre de mes années, mais le nombre qui subsiste. Quoi donc ? Est-ce que le nombre des années où tu es arrivé n’est pas un nombre ? Assurément c’est un nombre ; et, à le bien considérer, il n’en est point : si je m’y arrête, il paraît être, il n’en est point si je le dépasse : si je m’en dégage pour contempler les choses éternelles, si je compare les choses qui passent avec celles qui demeurent, je vois ce qui est vrai ; mais qu’y a-t-il plus que nos jours pour avoir plus d’apparence que de réalité ? Dirai-je que mes jours sont bien des jours ? Oui, ces jours, les appellerai-je des jours ; et donnerai-je témérairement un si grand nom à ce qui s’écoule avec tant de rapidité ? Je ne suis pas néanmoins si près du néant que j’oublie celui qui eut : Je suis celui qui suis[3]. Y a-t-il donc un nombre pour les jours ? Oui, il en est un qui est sans fin. Quant à ceux d’à présent, je répondrai qu’il y a quelque chose, si je retiens assez du jour où tu m’interroges pour dire qu’il existe, ou bien toi-même qui m’interroges, retiens le moment où tu parles. Peux-tu le retenir ? Si tu as retenu celui d’hier, tu retiens celui d’aujourd’hui. Mais le jour filer, me diras-tu, je ne puis le retenir, il ut écoulé : je retiens celui d’aujourd’hui, ç’est avec moi. N’en as-tu pas déjà perdu qui s’est écoulé depuis l’aube ? Car n’a-t-il pas commencé à la première heure ? Montre-moi la première heure de ce jour ; montre-moi même la seconde. Elle s’est envolée, me diras-tu, mais je vous montrerai la troisième, c’est peut-être à celle-là que nous en sommes. Donc nous parlons de jours, et d’un troisième jour ; et si tu me donnes une troisième, ce sera une troisième heure, non un troisième jour. Je ne te l’accorderai même pas, pour peu que tu t’élèves avec moi au-dessus des dates terrestres. Montre-moi en effet cette troisième heure, cette heure dans laquelle tu es actuellement. Car si une partie déjà s’en est écoulée, il en reste une autre partie ; tu ne saurais me donner ce qui est écoulé, puisqu’il n’existe plus, ni ce qui en reste, puisqu’il n’est pas encore. Que me donneras-tu donc de cette heure qui s’écoule actuellement ? M’en donneras-tu suffisamment pour hasarder ce seul mot : elle est ? Mais ce mot Est[4] n’a qu’une syllabe, n’est que d’un instant, et cette syllabe a trois lettres ; or, en la prononçant, tu n’arrives pas du coup à la seconde lettre, que tu n’aies fini la première ; et la troisième ne résonne qu’après la seconde. Que me donneras-tu donc dans cette unique syllabe ? Et tu retiens des jours, toi qui ne saurais retenir une seule syllabe ? Nos instants s’envolent et emportent tout, le torrent du monde s’enfuit : « Ce torrent auquel a bu pour nous dans son chemin celui qui a élevé la tête »[5]. Ces jours donc ne sont plus : ils s’en vont presque avant d’arriver ; et quand ils sont arrivés, ils ne peuvent subsister ; ils se touchent, ils se suivent, mais ne se maintiennent point. On ne retranche rien au passé on attend un avenir qui doit passer ; on ne l’a point qu’il n’arrive, et quand il arrive on ne le retient point. « Faites-moi connaître le nombre de mes jours », non point ce nombre qui ne subsiste pas, ou plutôt ce qui est étrange et me jette dans un trouble plus dangereux, ce qui est tout à la fois et qui n’est pas ; car nous ne pouvons pas dire d’une chose qu’elle est, quand elle ne subsiste point, ni que ce qui vient et passe ne soit aucunement. Je cherche l’Être simple, l’Être véritable, je veux l’Être purement, cet Être qui est dans la Jérusalem Épouse de mon Dieu, où il n’y a plus ni mort, ni défaillance, ni jour qui passe, mais un jour qui demeure, qui n’a point eu d’hier, qui n’est point refoulé par le lendemain. C’est là, Seigneur, « ce nombre de mes jours, qui subsiste, que je demande à connaître ».
8. « Afin que je sache ce qui me fait défaut »[6]. Car c’est là ce qui me manque pendant que je travaille ici-bas ; et tant que cela me fera défaut, je ne me dis point parfait et tant que je ne le reçois point, je répète « Non que j’aie atteint déjà ou que je sois

  1. Ps. 38,3
  2. Id. 101,28
  3. Exod. 3,14
  4. Dans la prononciation latine, on fait sentir chacune des trois lettres, et c’est de cette prononciation qu’argumente le saint Docteur
  5. Ps. 109,7
  6. Id. 38,5