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Seigneur. Ils parlent d’eux-mêmes ceux qui disent le mensonge[1]. Notre interlocuteur a donc éprouvé quelque chose de fâcheux, et dans son aveu il nous invite à y prendre garde et à ne point l’imiter. Car, disions-nous, la crainte excessive d’échapper une parole qui ne fût pas bien, lui a fait prendre la résolution de ne dire même aucun bien ; et cette résolution de se taire l’a empêché d’écouter. En effet, si tu as devancé les autres, tu es devant Dieu, écoutant de lui ce que tu dois dire eux hommes : entre Dieu qui est riche, et l’homme qui est pauvre, désirant entendre quelque chose, tu interviens, toi qui devances afin de pouvoir écouter d’une part, et parler d’autre part : si tu ne veux point parler, tu ne mérites point d’entendre ; tu méprises le pauvre et encours le mépris du riche. Tu as donc oublié que tu es le serviteur établi par Dieu sur toute sa famille pour donner la nourriture aux autres serviteurs[2] ? Pourquoi donc chercher à recevoir ce que tu es paresseux à donner ? Il est bien juste que le refus de dire ce que tu avais reçu t’empêche de recevoir ce que tu désirais. Tu désirais quelque chose, et déjà tu possédais : donne d’abord ce que tu as, afin de mériter ainsi de recevoir encore. Donc, après avoir mis un frein à ma bouche, et m’être imposé silence, parce qu’il me paraissait dangereux de parler, il m’est arrivé, dit l’interlocuteur, ce que je ne voulais point : « Je suis devenu sourd, humilié », non que je me sois humilié ; mais « j’ai été humilié ». J’ai commencé à taire les meilleures choses, dans la crainte d’en dire de mauvaises ; et j’ai blâmé ma résolution. J’ai cessé de dire le bien. « Et ma douleur s’est renouvelée ». Le silence avait été pour moi un soulagement dans cette douleur que m’avaient infligée mes calomniateurs et mes censeurs, ce que la calomnie m’avait fait souffrir s’apaisait ; mais depuis que je ne dis plus le bien, ma douleur s’est renouvelée. Taire ce que je devais dire m’est devenu plus douloureux que dire ce que je ne devais pas. « Ma douleur s’est renouvelée ».
5. « Un feu s’est embrasé dans ma méditation »[3]. Mon cœur a été dans l’inquiétude. Je voyais les insensés et j’en séchais de dépit[4], et dans mon silence j’étais dévoré par le zèle de votre maison[5]. J’ai jeté les yeux sur le Seigneur qui me disait : « Méchant et paresseux serviteur, si tu donnais mon argent aux banquiers, à mon retour je le retirerais avec usure ». Et que le Seigneur détourne de ses ministres cette malédiction : « Jetez dans les ténèbres extérieures », pieds et poings liés, ce serviteur sinon dissipateur, du moins négligent à faire valoir[6]. Mais, si l’on condamne ainsi le paresseux qui a conservé l’argent du maître, que sera-ce de ceux qui l’ont dissipé dans la débauche ? « Un feu s’est embrasé dans ma méditation ». Placé dans cette alternative de parler ou de se taire, en face d’auditeurs dont les uns cherchaient à le calomnier, les autres à s’instruire ; sujet d’opprobre pour ceux qui sont dans l’abondance, de mépris pour les orgueilleux[7], et considérant combien sont heureux ceux qui ont faim et soif de la justice[8], n’ayant de toutes parts que fatigue et qu’affliction ; craignant de jeter des perles devant les pourceaux, craignant aussi de ne point donner la nourriture aux vrais serviteurs ; dans cette angoisse il cherche un état plus avantageux que ce ministère qui offre à l’homme tant de labeurs et de dangers ; il soupire après cette fin où l’homme n’aura rien de pareil à souffrir, après cette fin, dis-je, où le Seigneur dira à son fidèle serviteur : « Entre dans la joie de ton Seigneur[9] : J’ai parlé, dit-il, en mon langage »[10]. Donc, au milieu de ces angoisses, de ces dangers, de ces difficultés, parce que le bonheur que vous fait goûter la loi de Dieu n’empêche pas que la charité de plusieurs se refroidisse[11] ; au milieu de toutes ces peines, « j’ai parlé », dit le prophète, « en mon langage ». À qui ? Non point à un auditeur que je veux instruire, mais à celui que je veux pour maître, et qui m’exaucera. « J’ai parlé dans mon langage », à celui qui me dit intérieurement tout ce que j’entends de bon et de vrai. Qu’as-tu dit ? : « Seigneur, faites-moi connaître ma fin ». J’ai déjà devancé bien des objets, je suis arrivé à d’autres, et ceux auxquels je suis arrivé sont meilleurs que ceux que j’ai devancés ; mais il m’en reste beaucoup à dépasser encore. Nous ne demeurerons point toujours en ces lieux où nous devons subir la tentation, les scandales, les auditeurs et les calomniateurs. « Faites-moi donc connaître ma fin » : cette fin qui

  1. Jn. 8,44
  2. Mt. 24,45
  3. Ps. 38,5
  4. Id. 118,158
  5. Id. 58,8
  6. Mt. 25,26-30
  7. Ps. 122,4
  8. Mt. 5,6
  9. Id. 25,21
  10. Ps. 38,5
  11. Mt. 24,12