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autres, que celui de nos auditeurs qui veut l’imiter ne cherche point à franchir un fossé par un bond léger, ni à s’élancer comme au vol, au-delà d’un escarpement : ce que j’entends d’une manière corporelle ; car celui dont il s’agit, doit aussi franchir des fossés, « ces lieux creux et brûlés par le feu, qui périront, Seigneur, sous les regards menaçants de votre face »[1]. Or, quels sont ces lieux creux et brûlés par le feu, qui doivent périr sous le regard du Seigneur, sinon les péchés ? Ce qui est brûlé par le feu, c’est l’œuvre d’un ardent désir du mal ; ce qui est creux, c’est l’œuvre d’une lâche timidité. Car tous les péchés viennent des désirs ou de la lâcheté. Que notre héros franchisse donc tout ce qui peut le retenir sur la terre ; qu’il dresse ses échelles, qu’il déploie ses ailes, et que chacun voie s’il peut se reconnaître ici. Je ne doute point que plusieurs, par la divine miséricorde, ne s’y puissent reconnaître, qui méprisent le monde, et tous les attraits que peut nous offrir le monde, et se proposent de vivre saintement, à cause des joies spirituelles qu’ils goûtent dès cette vie. Et d’où viendront ces délices pour ceux qui marchent encore sur la terre, sinon des oracles divins, de la parole de Dieu, ou de quelque parole des saintes Écritures, que l’on aura méditée, et dont on trouvera le sens avec d’autant plus de joie qu’on l’aura recherché avec peine ? Car il y a dans les livres saints des délices pures et innocentes. S’il y en a dans l’or, dans l’argent, dans les festins, dans la débauche, dans la pêche et dans la chasse, dans le jeu, dans le divertissement, dans les folies du théâtre, dans la recherche et dans la possession des ruineux honneurs de ce monde ; si l’on en trouve dans toutes ces choses qui ne peuvent donner une joie solide, pourrait-on n’en pas trouver dans les livres saints ? Que l’âme au contraire s’élance par-dessus ces bas-fonds, qu’elle cherche son bonheur dans la parole de Dieu, et qu’elle dise avec autant de vérité que de sécurité : « Les impies m’ont raconté leurs plaisirs ; mais, Seigneur, ce n’est point comme votre loi »[2]. Qu’Idithun vienne et devance tous ceux qui se plaisent ici-bas, qu’il mette son bonheur dans les choses d’en haut, dans la parole de Dieu, dans les douceurs de la loi du Très-Haut. Mais, que dis-je ? Faut-il encore passer de ce bonheur à un autre ? Ou doit-il arrêter là sa course, celui qui veut devancer ? Écoutons plutôt ses paroles, car cet homme qui bondit me paraît avoir sa demeure dans la parole de Dieu ; c’est là qu’il a puisé ce que nous allons entendre.
3. « J’ai dit : Je veillerai sur mes voies, pour n’être point coupable dans mes paroles »[3]. Croyez-le bien, il est difficile pour un homme de lire, de parler, de prêcher, d’avertir, de reprendre, quand il est à l’œuvre, fatigué par les devoirs pénibles, comme un homme qui traite avec des hommes, bien qu’il ait devancé tous ceux qui n’ont point mis leur joie en Dieu, et de ne point faillir ou pécher par la langue. « Quiconque ne pèche point par la langue », est-il écrit, « est un homme parfait »[4]. Peut-être l’interlocuteur avait-il parlé de manière à s’en repentir, et avait-il dit quelque parole qu’il eût voulu, mais qu’il ne pouvait retenir. Ce n’est pas sans raison que notre langue est toujours humide, afin de glisser facilement. Il voit donc combien il est difficile qu’un homme soit obligé de parler et ne dise rien qu’il puisse regretter ; et, à la vue de toutes ces fautes, il se prend d’ennui et demande à Dieu de pouvoir les éviter. Telle est la peine dans laquelle se trouve l’homme qui devance. Que l’homme qui demeure en arrière ne me juge pas, qu’il prenne le devant et il éprouvera ce que je dis ; car alors il sera un témoin et un fils de la vérité. Dans cette situation il avait résolu de ne point parler, afin de n’avoir point à se repentir de ses paroles. C’est là ce qu’indiquent les premiers mots : « J’ai dit : Je veillerai sur mes voies, pour n’être point coupable dans mes paroles ». Oui, Idithun, garde tes voies, afin que tes paroles soient irréprochables : pèse bien ce que tu diras, examine, consulte la vérité intérieure ; et porte-la ensuite à l’auditeur du dehors. Tu cherches souvent à en agir ainsi dans le trouble des affaires, dans la préoccupation des esprits, alors que l’âme déjà si faible et sous le poids d’un corps qui se corrompt, veut écouter et veut parler, écouter à l’intérieur, parler au-dehors ; et, dans son empressement à parler, elle néglige de s’instruire, et il lui arrive de dire ce qu’elle aurait dû taire. Le meilleur des remèdes en ce cas est le silence. Voilà un pécheur, un pécheur qui mérite ce nom plus particulièrement, homme orgueilleux et jaloux ; il entend parler Idithum,

  1. Ps. 79,17
  2. Id. 118,85
  3. Ps. 38,2
  4. Jac. 3,2