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ces paroles en lui-même, disons-les par lui ; car il intercède pour nous[1] ; disons : « Ne m’abandonnez pas, Seigneur mon Dieu ». Il avait dit pourtant : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné[2] ? » Et voilà qu’il dit : « O Dieu, ne vous éloignez pas de moi ». Si Dieu ne s’est point retiré du corps, s’est-il donc retiré du chef ? De qui est donc cette prière, sinon du premier homme ? Or, pour nous montrer qu’il a tiré d’Adam une véritable chair, il s’écrie : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » Car Dieu ne l’avait point délaissé. S’il ne t’abandonne point pourvu que tu croies en lui, ce seul Dieu Père, Fils et Saint-Esprit pourrait-il abandonner le Christ ? Mais alors, il avait personnifié en lui-même le premier homme. Nous savons, d’après l’Apôtre, « que notre vieil homme a été cloué à la croix avec lui[3] » ; et nous n’aurions pu nous dépouiller de cette vétusté, si le Christ n’eût été crucifié en sa faiblesse. Car il est venu sur la terre pour nous renouveler en lui ; et le désir de le posséder, l’imitation de ses douleurs nous font entrer dans ce renouvellement. Donc, la voix de son infirmité était notre voix disait : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » De là encore cette autre parole : « Le rugissement de mes péchés[4] ». Comme s’il disait : C’est au nom du pécheur que je vous tiens ce langage : « Seigneur, ne vous éloignez pas de moi ».
28. « Seigneur, Dieu de mon salut, soyez attentif à me secourir[5] ». Ce salut, mes frères, est celui dont se sont enquis les prophètes, au dire de saint Pierre, et que n’ont point reçu ceux qui le recherchaient ; mais ils l’ont recherché et l’ont annoncé, et nous sommes venus, nous qui avons trouvé ce qu’ils désiraient de pénétrer. Et voilà que nous-mêmes ne l’avons pas reçu encore ; d’autres viendront après nous et le trouveront de même sans le recevoir ; puis ils passeront, afin que tous, à la fin du jour, nous recevions le denier du salut avec les patriarches, les prophètes et les apôtres. Vous connaissez ces mercenaires ou ces ouvriers que le père de famille envoya dans sa vigne à des heures différentes, et qui reçurent néanmoins une même récompense[6]. Ainsi les Prophètes et les Apôtres, et les martyrs et nous, et ceux qui viendront après nous jusqu’à la consommation des siècles, nous recevrons alors le salut éternel, afin que, contemplant la gloire de Dieu, et le voyant face à face, nous le bénissions dans l’éternité sans défaillance, sans la peine cuisante de l’iniquité, sans aucune altération du péché ; nous bénirons Dieu sans soupirer davantage, nous attachant à celui après lequel nous avons soupiré jusqu’à la fin, et dont l’espérance faisait notre joie. Nous serons alors dans la cité bienheureuse où Dieu sera notre bien, Dieu sera notre lumière, Dieu sera notre nourriture, Dieu sera notre vie. Tout ce qui est notre bien, pendant que nous travaillons dans notre exil, nous le trouverons en Dieu. En lui sera ce repos dont nous ne pouvons nous souvenir qu’avec douleur. Car il nous rappelle ce sabbat dont le souvenir a inspiré tant de paroles, dont nous devons tant parler encore, que notre cœur, sinon notre bouche, doit chanter toujours ; car le silence de la bouche n’étouffe point les cris du cœur.

  1. Rom. 8,34
  2. Mt. 27,46 ; Ps. 21,2
  3. Rom. 6
  4. Ps. 21,2
  5. Id. 37,23
  6. Mt. 20,9