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ineffables que l’homme ne saurait redire. Mais il fut rappelé sur notre terre afin d’y gémir, d’y trouver la perfection dans sa faiblesse et d’être ensuite revêtu de force ; encouragé toutefois tans l’exercice de son ministère par la vue de ces merveilles, il ajoute : « J’ai entendu des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme de redire[1] ». À quoi bon maintenant me demander, ou à tout autre, ce que homme ne saurait dire ; s’il ne put le répéter lui qui avait bien pu l’entendre ? Pleurons toutefois et gémissons en confessant notre misère : reconnaissons où nous sommes, rappelons-nous le sabbat et attendons avec patience ce que nous a promis celui qui nous a donné en lui-même un modèle de patience. « J’ai été affaibli et humilié à l’excès ».
13. « Je rugissais dans les frémissements de mon cœur[2] ». Vous remarquez souvent que les serviteurs de Dieu pleurent et gémissent ; vous en demandez la cause, et il n’apparaît au-dehors que le gémissement de quelques serviteurs de Dieu, si toutefois il arrive aux oreilles de son voisin. Car il y a un gémissement secret que les hommes n’entendent pas ; et toutefois, si le cœur est en proie à quelque pensée ou quelque violent désir, jusqu’à trahir par quelque cri extérieur la blessure de l’homme intérieur, on en demande la cause ; et l’homme se dit en lui-même : Peut-être est-ce pour tel sujet qu’il gémit, peut-être lui a-t-on fait tel mal. Mais qui peut comprendre la raison de ses soupirs, sinon l’homme qui les entend ou qui les voit ? si dit-il : « Je rugissais dans le gémissement de mon cœur » ; parce que les hommes entendent les gémissements d’un autre homme, n’entendent souvent que les gémissements de la chair, et non le rugissement du cœur. Tel, que je ne connais point, a ravi à un autre son bien ; celui-ci gémit, mais non dans son cœur ; celui-là gémit, parce qu’il a perdu un fils, cet autre une Épouse ; tel, parce la grêle a ravagé sa vigne ; tel, parce que son vin s’est aigri ; tel, parce qu’on lui a volé un cheval ; tel, parce qu’il a subi quelque perte ; tel, parce qu’il craint un ennemi ; tous ceux-là gémissent, mais dans le rugissement la chair. Quant au serviteur de Dieu, qui rugit en se souvenant du sabbat, lequel est règne de Dieu, et que ne posséderont ni le sang ni la chair[3], il peut dire : « Je rugissais dans les frémissements de mon cœur ».
14. Et comme Dieu connaît la cause de ses rugissements, il ajoute aussitôt : « Tous mes désirs sont devant vous[4] ». Non pas devant les hommes qui ne sauraient voir le cœur ; mais c’est « sous vos yeux que sont mes désirs ». Que vos désirs soient donc devant lui ; « et mon Père qui voit dans le secret vous le rendra[5] ». Car ton désir, c’est ta prière ; et si ton désir est continuel, ta prière est continuelle. Aussi n’est-ce pas en vain que l’Apôtre a dit : « Priez sans relâche[6] ». Aurons-nous donc toujours les genoux en terre, le corps prosterné, les mains élevées, pour qu’il nous dise : « Priez sans cesse ? » Si nous appelons cela prier, je ne crois pas que nous puissions le faire sans interruption. Mais il est dans l’âme une autre prière incessante, qui est le désir. Quoi que vous fassiez, vous ne cessez point de prier, si vous désirez le repos du ciel. Si donc tu ne veux pas interrompre ta prière, n’interromps pas ton désir. Un désir incessant est une voix continuelle. Te taire, ce serait ne plus aimer, Qui donc se sont tus ? Ceux dont il est dit : « Et comme l’iniquité se multiplie, la charité se refroidit chez plusieurs[7] ». Le refroidissement de la charité, c’est le silence du cœur ; la flamme de la charité au contraire est le cri du cœur. Si la charité demeure fervente, tu cries toujours ; si tu cries toujours, tu désires toujours ; si tu désires, tu te souviens du sabbat ; et lu dois alors comprendre quel est le témoin de tes désirs. Maintenant, considère quel désir tu dois mettre sous les yeux de Dieu. Est-ce la mort d’un ennemi, dont le souhait paraît juste aux hommes ? Car souvent nous demandons ce que nous ne devons pas. Voyons ce que les hommes croient souhaiter avec justice. Souvent ils demandent la mort d’un autre pour entrer dans son héritage. Que ceux-là toutefois qui demandent la mort d’un ennemi, écoutent ce que dit le Seigneur : Priez pour vos ennemis[8]. Qu’ils n’osent donc point demander la mort d’un ennemi ; qu’ils en demandent plutôt la conversion, et l’ennemi sera vraiment mort, puisque converti, il ne sera plus un ennemi. « Tous mes désirs sont devant vous ». Mais qu’arriverait-il si le désir était devant Dieu, et que les gémissements

  1. 1 Cor. 11,2-10
  2. Ps. 37,9
  3. 1 Cor. 15,50
  4. Ps. 37,10
  5. Mt. 6,6
  6. 1 Thes. 5,17
  7. Mt. 24,12
  8. Id. 5,44 ; Lc. 6,27