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paroles ne nous laissent aucun doute sur le mal dont il souffre, et il n’est nul besoin de le chercher, mais de comprendre ce qu’il dit. Et s’il ne craignait un malheur plus grand que celui dont il souffre, il ne commencerait pas ainsi : « Seigneur, ne me reprenez point dans votre indignation, ne me corrigez point dans votre colère[1] ». Il arrivera, en effet, que Dieu châtiera des pécheurs dans sa colère et les reprendra dans son indignation. Tous ceux qu’il reprendra ne seront peut-être pas corrigés ; et néanmoins, plusieurs seront sauvés par le châtiment. Il y en aura, puisque être châtié, c’est « passer comme par le feu[2] ». D’autres, au contraire, seront repris sans néanmoins se corriger. Car ce sera bien les reprendre que de leur dire : « J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez point donné à boire[3] » ; et tout ce qui vient ensuite, pour reprocher la dureté de cœur et la stérilité aux méchants qui seront à sa gauche et auxquels il dira : « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges[4] ». Cette âme donc, redoutant des maux bien plus grands que ceux dont elle gémit en cette vie, supplie le Seigneur et s’écrie : « Seigneur, ne me reprenez pas dans votre colère ». Que je ne sois point avec ceux auxquels vous direz : « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges. Ne me corrigez pas dans votre colère » ; mais plutôt, corrigez-moi dès cette vie, et rendez-moi telle que je n’aie pas besoin de passer par le feu de l’expiation, comme ceux qui doivent être sauvés, mais comme par le feu. Pourquoi, sinon parce qu’en cette vie ils élèvent sur le vrai fondement un édifice en bois, en foin, en paille ? S’ils bâtissaient en or, en argent, en pierres précieuses, ils seraient en sûreté contre l’un et l’autre feu ; non seulement contre le feu éternel qui doit dévorer l’impie pendant l’éternité, mais contre le feu qui doit purifier ceux qui seront sauvés par le feu. Il est dit en effet « qu’ils seront sauvés, mais comme par le feu ». Or, parce qu’il est dit : « Il sera sauvé », on dédaigne ces flammes. Mais, bien qu’il serve à nous sauver, ce feu sera néanmoins plus horrible que toutes les douleurs qu’un homme peut endurer ici-bas. Et pourtant, vous savez quels maux endurent les méchants, quels maux ils peuvent endurer encore sur la terre ; mais ils n’ont rien enduré que les bons ne puissent endurer. Quels supplices les lois humaines ont-elles pu infliger au magicien, au voleur, à l’adultère, au scélérat, au sacrilège, que le martyr n’ait pas souffert en confessant Jésus-Christ ? Les maux de cette vie sont donc bien plus supportables ; et toutefois, voyez avec quel empressement les hommes feront, pour les éviter, tout ce que vous leur commanderez. Combien gagneraient-ils plus à supporter ce que Dieu ordonne, pour éviter ces horribles tourments ?
4. Mais pourquoi demander de n’être point repris avec indignation, ni corrigé avec colère ? Comme si le prophète disait à Dieu : Puisque les maux que j’ai endurés sont grands et nombreux, qu’ils me suffisent, je vous en supplie. Alors il se met à les énumérer, offrant à Dieu comme une satisfaction ce qu’il a souffert, afin de ne pas souffrir davantage. « Vos flèches me pénètrent de toutes parts, et votre main s’est appesantie sur moi[5] ».
5. « En face de votre colère, il n’y a rien de « sain en mon corps[6] ». Déjà il nous racontait ce qu’il souffrait en cette vie, et ces maux viennent de la colère de Dieu, puisqu’ils viennent de sa vengeance. De quelle vengeance ? De celle qu’il a tirée d’Adam. Car le péché d’Adam ne demeura point impuni, et Dieu ne dit point en vain : « Tu mourras de mort[7] » ; et nous n’avons rien à souffrir en cette vie qui ne nous vienne de cette mort que nous avons méritée par le péché. Car nous portons un corps mortel, et qui, sans le péché, ne serait point mortel, exposé aux tentations, plein de sollicitudes, en proie aux maladies corporelles, en proie à l’indigence, assujetti aux changements, qui languit même en santé, parce qu’il ne jouit jamais d’une santé complète. Pourquoi dire : « Il n’y a rien de sain dans ma chair », sinon parce que cette santé, ou ce que l’on appelle ainsi en cette vie, n’est point une santé pour ceux qui comprennent le vrai sabbat et s’en souviennent ? Si tu es sans manger, la faim te presse bientôt. C’est comme une maladie naturelle ; et ce qui était d’abord une peine vengeresse est devenu pour nous une seconde nature. Ce qui était un châtiment pour le premier homme est naturel pour nous. De là

  1. Ps. 37,2
  2. 1 Cor. 3,15
  3. Mt. 25,41
  4. Id. 42
  5. Ps. 37,3
  6. Id. 4
  7. Gen. 2,17