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Le Seigneur les aidera, les sauvera, les délivrera des mains des pécheurs[1] ». Que les justes tolèrent donc maintenant les pécheurs, que le bon grain tolère l’ivraie, que le froment tolère la paille ; car viendra le temps de la séparation, et l’on tirera le bon grain de ce que le feu doit consumer ; l’un sera mis dans les greniers célestes, l’autre jeté aux flammes éternelles ; Dieu n’avait laissé le juste et l’injuste vivre ensemble qu’afin que l’un tendît des pièges, que l’autre fût éprouvé, et qu’ensuite le premier fût condamné, le second couronné.
18. Grâces à Dieu, mes frères ; par la grâce du Christ nous avons acquitté notre dette, mais la charité me tient toujours en redevance ; car elle est une, et l’acquitter tous les jours, c’est la devoir tous les jours. Nous avons beaucoup parlé contre les Donatistes, nous avons apporté beaucoup de faits, beaucoup d’actes en dehors des règles des Écritures, parce qu’ils nous y ont forcé. Car s’ils me blâment de vous avoir fait ces lectures, j’accepte leur blâme, pourvu que vous soyez instruits. En ce cas, en effet, nous pouvons leur répondre : « J’ai fait une folie, et vous m’y avez contraint[2] ». Du reste, mes frères, conservez avant tout notre héritage, dont nous sommes assurés par le testament de notre Père, non par l’acte frivole d’un homme, mais bien par le testament de notre Père. Soyons en pleine sécurité ; car celui qui a fait ce testament vit toujours. Lui qui a fait le testament à l’héritier, jugera lui-même de son testament. Chez les hommes, autre est le testateur et autre le juge ; et pourtant, celui qui s’en tient au testament gagne sa cause auprès d’un autre qui est juge, non auprès d’un juge qui serait mort. Combien nous devons être certains de la victoire, quand c’est le testateur qui doit nous juger ! Car si le Christ est mort pour un temps, il vit pour l’éternité[3].
19. Qu’ils disent donc de nous ce qui leur plaira, nous les aimerons même en dépit d’eux. Nous connaissons, mes frères, nous connaissons ce qu’ils savent dire ; gardons-nous de nous en irriter contre eux, supportez-le patiemment avec nous. Ils voient qu’il ne leur reste aucune réplique, et ils se tournent contre nous-même, versant le blâme sur nous, disant bien des choses qu’ils savent, et bien des choses qu’ils ne savent pas. Ce qu’ils savent, c’est notre passé ; car, dit l’Apôtre, « nous fûmes jadis insensés, incrédules, éloignés de toute bonne œuvre ». Contre toute sagesse et avec folie nous avons donné dans une erreur funeste, nous sommes loin de le nier ; et moins nous nions notre passé, plus nous bénissons Dieu qui nous l’a pardonné. Pourquoi donc, ô hérétique, abandonner ta cause pour te prendre à un homme ? Qui suis-je, moi ? qui suis-je ? Est-ce que je suis l’Église catholique ? est-ce que je suis l’héritage du Christ répandu chez toutes les nations ? Il me suffit d’être dans cette Église. Tu me reproches mes fautes passées, que fais-tu là de si bien ? Je suis pour mes fautes plus sévère que tu ne peux l’être, et ce que tu blâmes, je l’ai condamné. Puisses-tu m’imiter un jour, afin que ton erreur soit aussi du passé ! Mes fautes passées, on les connaît principalement dans cette ville. Ici, je l’avoue, j’ai vécu dans le désordre ; et plus la grâce que Dieu m’a faite m’est un sujet de joie, plus mon passé, que dirai-je ? me cause de douleur. Oui, ce serait de la douleur s’il durait encore. Mais que dirai-je ? qu’il me réjouit ? je ne puis le dire ; plût à Dieu que je n’eusse jamais été de la sorte ! Mais ce que j’étais, grâce au Christ, je ne le suis plus. Quant à ce qu’ils blâment du présent, ils ne le connaissent pas. Il y a sans doute en moi quelques défauts à blâmer, mais les connaître est une grande prétention de leur part. Je fais de grands efforts dans le secret de mes pensées, pour combattre les désirs mauvais ; j’ai des luttes bien longues, presque incessantes contre les assauts de l’ennemi qui cherche ma perte. Je gémis devant Dieu, dans ma faiblesse ; et il sait ce qu’enfante mon cœur, lui qui connaît ce que je dois produire. « Peu m’importe », dit l’Apôtre, « que je sois jugé par vous ou au tribunal d’un homme ; mais je ne me juge point moi-même »[4]. Je me connais mieux qu’eux, et Dieu mieux que moi. Je demande au Christ qu’ils n’aient rien à vous reprocher à cause de moi. Car ils disent : Quels sont ces gens ? d’où viennent-ils ? nous les avons vus dans le dérèglement ; qui les a baptisés ? S’ils nous connaissent bien, ils savent que nous avons autrefois passé la mer. Ils savent que nous avons vécu en pays étranger, et que nous en sommes revenus autre

  1. Ps. 36,39-40
  2. 2 Cor. 12,11
  3. Rom. 5,9
  4. 1 Cor. 4,3