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DISCOURS SUR LE PSAUME 36==

DEUXIÈME SERMON. – LA FORCE DU JUSTE.

Le Méchant ne peut souffrir en personne, et il se nuit en persécutant le juste. Dieu s’en sert pour nous mettre à l’épreuve, puis il le brise s’il ne se convertit. Quand le juste souffre, il puise sa force dans sa foi en Dieu, dans l’espérance de l’héritage Éternel. Le méchant n’a que le désespoir dans le malheur, et son bonheur s’évapore en fumée. Le Seigneur dirige les pas du juste qui se console dans sa ressemblance avec Jésus-Christ. Les faux témoins contre Jésus-Christ sont les ancêtres des Donatistes.


1. Il me faut obéir aux injonctions que l’on m’a faites, et vous parler encore de ce psaume. Car le Seigneur a voulu par les grandes pluies retarder notre départ, et l’on m’a recommandé de ne point laisser reposer ma langue d’une manière inutile pour vous, qui êtes la sollicitude de mon cœur, comme je suis la vôtre. Déjà je vous ai exposé le dessein de Dieu dans ce psaume, ce qu’il veut nous enseigner, les conseils qu’il nous donne, les écueils qu’il veut nous faire éviter, ce qu’il faut endurer, ce qu’il faut espérer. Deux sortes d’hommes, en effet, les justes et les pécheurs, vivent confondus sur la terre pendant cette vie. Chacune de ces catégories a dans le cœur une tendance qui lui est propre. Les justes cherchent à s’élever par l’humilité, les méchants descendent par l’orgueil. Les uns s’abaissent pour se relever, les autres s’élèvent pour tomber. De là vient que les uns souffrent et que les autres font souffrir : que le dessein des justes est de gagner même les méchants pour l’éternelle vie, et le dessein des pécheurs est de rendre le mal pour le bien, et d’ôter même, s’ils le pouvaient, la vie du temps à ceux qui s’efforcent de leur procurer la vie éternelle. Car le juste est à charge pour le pécheur, comme le pécheur pour le juste ; ils sont une charge l’un à l’autre. Nul ne doute que ces deux hommes ne soient à charge mutuellement, mais dans un sens bien différent. Si le juste est à charge au pécheur, c’est qu’il voudrait qu’il ne fût plus pécheur, et qu’il se propose de le rendre juste, comme il y tend par ses efforts ; mais le pécheur a pour le juste une telle haine, qu’il voudrait qu’il n’existât aucunement, et non qu’il devint bon. Plus il est juste, et plus il est à charge à l’iniquité du pécheur, qui travaille même à le rendre injuste, et s’il ne peut y parvenir, à le faire disparaître et à s’épargner la peine et l’ennui de le voir. Quand même il parviendrait à le rendre injuste, celui-là ne lui en serait pas moins à charge. Car ce n’est pas seulement l’homme juste qui est à charge à l’homme injuste, mais deux hommes injustes ont peine à se souffrir : et s’ils paraissent quelquefois s’aimer, c’est plutôt de la complicité que de l’amitié. Ils ne s’accordent que pour tramer la perte du juste ; et cet accord, loin d’être de l’amitié, n’est que la haine de celui qu’ils devraient aimer. C’est à l’égard de ces hommes que le Seigneur notre Dieu nous recommande la tolérance, et cette affectueuse charité que l’Évangile nous fait connaître par ce précepte du Seigneur, qui nous dit : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent »[1]. L’Apôtre dit aussi : « Ne vous laissez point vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien »[2]. Luttez avec le méchant, mais luttez en bien ; car le véritable combat, ou plutôt la lutte salutaire, consiste à mettre un bon en face d’un méchant, et non deux méchants aux prises.
2. Mais reprenons le psaume. Nous en avons exposé la première partie, voici la suite : « L’impie observe le juste et grince des dents « contre lui, mais le Seigneur se rit de lui ». De qui ? Évidemment du pécheur qui grince des dents contre le juste. Or, pourquoi « le Seigneur s’en rira-t-il ? parce qu’il voit que « son jour est proche ». Il paraît plein de fureur quand il menace le juste, et il ne sait pas que demain son heure viendra : mais le Seigneur le voit, il sait que son jour arrive. Quel jour ? Le jour où il rendra à chacun selon

  1. Mt. 5,44
  2. Rom. 12,21