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dans la joie, des clients qui les flattent, de les voir enfin au comble du pouvoir, sans que rien de fâcheux vienne troubler leur vie. Tu vois donc d’une part une vie coupable, et d’autre part les plus abondantes richesses ; et ton cœur se dit alors que Dieu ne juge point les hommes, et que tout flotte à l’aventure, au souffle de tous les hasards. En effet, si le Seigneur, dis-tu, prenait garde aux choses du monde, verrait-on cet impie fleurir, tandis que, moi innocent, je gémis dans la misère ? Toute maladie de l’âme trouve son remède dans les saintes Écritures. Qu’il s’abreuve donc de notre psaume comme d’une potion salutaire, celui qui est assez malade pour tenir ce langage dans son cœur. Quel est ce psaume ? Examinons encore ton langage. Qu’ai-je dit, me répondras-tu, sinon ce que tu vois toi-même ? Les méchants dans la prospérité, les bons dans la misère : comment Dieu peut-il supporter cette vue ? Prends, mon frère, et bois : c’est celui qui est l’objet de tes murmures qui t’a préparé ce breuvage ; ne le refuse point, il est salutaire ; prépare par l’oreille la bouche de ton cœur, et bois ce que tu entends : « Ne soyez point jaloux de la prospérité des méchants ; ne portez point envie à ceux qui commettent l’iniquité, car ils se dessécheront bientôt comme le foin, ils se faneront comme l’herbe des prés »[1]. Ce qui est long pour toi est court aux yeux de Dieu. Sois uni à Dieu, et ce temps sera court pour toi. « Ce foin », du prophète, s’entend « de l’herbe des prés ». Ce sont là des plantes méprisables qui recouvrent la surface de la terre et n’ont point de fortes racines. Aussi ont-elles quelque verdure pendant l’hiver, mais elles se dessèchent quand la chaleur du soleil se fait sentir. En ce temps donc nous sommes en hiver, et notre gloire n’apparaît pas encore ; mais si la charité a dans ton cœur des racines profondes, comme il en est de beaucoup d’arbres pendant l’hiver, alors les froids passeront, et viendra l’été ou le jour du jugement : l’herbe cessera d’être verte, et les arbres se revêtiront de gloire. « Vous êtes morts »[2], dit l’Apôtre, comme ces arbres qui paraissent en hiver desséchés et morts, Quelle espérance pouvons-nous avoir, si nous sommes morts ? Mais nous avons une racine à l’intérieur ; où est notre racine, là est aussi notre vie ; car c’est là qu’est notre charité, « Et votre vie », est-il dit, « est cachée avec Jésus-Christ en Dieu ». Mais alors, comment se dessécherait celui qui a une telle racine ? Mais quand viendra notre printemps ? Quand l’été se fera-t-il pour nous ? Quand serons-nous revêtus de la beauté de nos feuilles, de l’abondance de nos fruits ? Quand viendra ce moment ? Écoutez ce qui suit : « Quand apparaîtra le Christ qui est votre gloire, vous apparaîtrez aussi dans la gloire avec lui »[3] Que faire maintenant ? « Ne soyez point émus de la gloire des méchants ; ne portez point envie à ceux qui font le mal, ils se dessécheront bientôt comme le foin, ils se faneront comme l’herbe des prés ».
4. Mais toi ? « Espère dans le Seigneur ». Car ceux-là espèrent, mais non point en Dieu : leur espérance n’est que d’un moment, espérance périssable, fragile, qui s’évapore, qui passe et disparaît. « Espère dans le Seigneur ». Voilà que j’espère, que faire ? « Fais le bien », N’imite point le mal que tu vois chez ces hommes d’une impiété florissante. « Fais le bien et habite la terre »[4]. Ne fais pas le bien en dehors de la terre que tu habites ; car la terre du Seigneur, c’est son Église ; c’est elle qu’arrose, elle que cultive ce Père céleste qui en est le vigneron[5]. Il en est beaucoup qui paraissent faire de bonnes œuvres ; mais comme ils n’habitent point cette terre, il n’appartiennent point à ce vigneron céleste, Fais donc le bien, non en dehors de lu terre, mais habite la terre. Et que m’en reviendra-t-il ? « Et tu seras rassasié de ses richesses ». Quelles sont les richesses de cette terre ? C’est le Seigneur, qui est sa richesse ; toute sa richesse est en son Dieu ; c’est lui à qui l’on dit : « Seigneur, vous êtes mon partage »[6] ; c’est lui à qui l’on dit encore : « Le Seigneur est la part de mon héritage et de mon calice »[7]. Dans un dernier discours[8], nous avons démontré à votre charité que le Seigneur est notre possession, et que nous sommes la possession de Dieu. Écoutez encore qu’il est la richesse de cette terre, et voyez ce qu’ajoute le Prophète : « Mettez vos délices dans le Seigneur ». Comme si vous faisiez cette demande : Montrez-nous les richesses de cette terre où vous voulez me faire habiter. « Mettez », répond le psalmiste,

  1. Ps. 36,1-2
  2. Col. 3,3
  3. Col. 3,4
  4. Ps. 36,3
  5. Jn. 15,1
  6. Ps. 72,26
  7. Id. 15,5
  8. Dans l’exposition du psaume 32 qui eut lieu à Carthage dans l’église de saint Cyprien.