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face à face Celui qu’ils portaient dans leurs cœurs, et que leurs langues ne pouvaient exprimer aux hommes d’une manière compréhensible ? Quelle nécessité y avait-il de dire : « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison ? » Il cherche dans la langue humaine une expression à sa pensée ; et comme ils voient que les hommes se gorgent de vin jusqu’à l’ivresse, qu’ils en prennent sans mesure et jusqu’à perdre la raison, trouve là une manière de s’exprimer ; car, une fois cette joie céleste répandue dans nos âmes, la raison humaine s’évanouit en quelque serte, elle devient divine et s’enivre de l’abondance qui est dans la demeure de Dieu. Aussi est-il dit dans un autre psaume : « Combien m’est délicieux le calice qui m’enivre ! »[1] C’est ce calice qui enivrait les martyrs quand ils allaient au supplice sans connaître leurs proches. Quelle plus grande ivresse que de méconnaître une Épouse éplorée, des enfants, des proches ? Et pourtant, ils ne les connaissaient plus, ils ne croyaient point les avoir devant les yeux. Ne vous en étonnez pas, ils étaient dans l’ivresse. Dans quelle ivresse ? Voyez : ils avaient pris la coupe qui avait dû les enivrer. C’est ce qui porte à remercier Dieu celui qui s’écriait : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens dont il m’a comblé ? Je prendrai le calice du salut et j’invoquerai le nom du Seigneur »[2]. Donc, mes frères, soyons les enfants des hommes ; espérons à l’ombre des ailes du Seigneur, et enivrons-nous de l’abondance de sa maison. Je dis ce que je puis à ce sujet, je ne vois que comme je puis, et je ne puis dire encore ce que je vois. « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison ; et vous les abreuverez au torrent de vos délices ». On appelle torrent cette eau qui se précipite avec impétuosité ; la divine miséricorde se précipitera donc, pour baigner, pour enivrer ceux qui, en cette vie, se reposent dans l’espérance à l’ombre de vos ailes. Quelle est cette volupté ? C’est un torrent qui enivre ceux qui ont soif. Que celui-là donc qui a soif se prenne à espérer ; qu’il espère, celui qui a soif, et quand il sera dans l’ivresse, il possédera l’objet de son espérance ; mais avant de le posséder, qu’il en ait la soif et l’espérance. « Bienheureux iceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés »[3].
15. À quelle source irez-vous donc boire, et d’où coulera cet impétueux torrent des divines voluptés ? « C’est en vous », dit le Prophète, « qu’est la source de vie ». Quelle autre source de vie que le Christ ? Il est venu à vous dans sa chair, afin d’arroser votre gosier desséché par la soif ; et celui qui a pu vous soulager dans votre soif, comblera un jour votre espérance. « C’est en vous, Seigneur, qu’est la source de la vie, et à votre flambeau nous verrons la lumière »[4]. Autre est la source d’eau, et autre est la lumière ; en Dieu il n’en est pas ainsi. La source d’eau est identique à la lumière ; tu peux lui donner le nom qu’il te plaira, parce que tu ne le désigneras point par son nom ; puisque tu ne peux trouver un nom qui lui soit propre, et qu’un seul nom ne lui suffit point. Si tu dis qu’il est seulement une lumière, on te répondra : C’est donc en vain que l’on me pousse à la faim et à la soif ; comment, en effet, manger une lumière ? On m’a dit alors avec raison : « Heureux les hommes dont le cœur est pur, parce qu’ils verront Dieu »[5] ; si Dieu est une lumière, je dois préparer mes yeux. Prépare encore ta bouche ; car celui qui est une lumière est encore une source ; oui, une source qui abreuve ceux qui ont soif, une lumière qui éclaire les aveugles, Ici-bas il est souvent une distance entre la source et la lumière. Car les sources parfois coulent dans les ténèbres, et souvent encore dans le désert tu souffriras du soleil sans trouver une source : ces deux choses peuvent donc être séparées ici-bas ; mais là haut, il n’y a point de lassitude, parce qu’il y aune source ; il n’y a point de ténèbres, parce que c’est le foyer de la lumière.
16. « Étendez votre miséricorde à ceux qui vous connaissent, et votre justice à ceux qui ont le cœur droit »[6]. Nous l’avons dit souvent : ceux qui ont le cœur droit sont ceux qui accomplissent ici-bas la volonté de Dieu. Or, quelquefois c’est la volonté de Dieu que tu sois en santé, quelquefois que tu sois malade ; et si la volonté de Dieu te plaît dans la santé, pour te déplaire dans la maladie, tu n’as pas le cœur pur. Pourquoi ? Parce que tu ne veux point te soumettre à la volonté de Dieu, mais la courber afin qu’elle subisse la tienne. Cette volonté est droite, et toi tu es défectueux ; c’est ta volonté qui doit se dresser

  1. Ps. 22,5
  2. Id. 115,12-13
  3. Mt. 5,6
  4. Ps. 35,10
  5. Mt. 5,8
  6. Ps. 35,11