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œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce que le cœur de l’homme n’a jamais compris »[1]. Ce qui peut-être n’est jamais entré dans ton lit, ou plutôt dans ton cœur. Mais Dieu sait ce qu’il doit te donner. Quand sera-ce ? Quand Dieu se révélera, quand il apparaîtra comme Juge. Quoi de plus clair que ce langage qu’il doit tenir à ceux qui seront à sa droite « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde ? »[2] Voici ce qu’entendront ceux qui seront à sa gauche, et ils gémiront dans une pénitence inutile[3], parce qu’ils n’auront pas voulu pendant leur vie la rendre fructueuse. Pourquoi gémir alors ? Parce que ce ne sera plus le lieu de se corriger. Donc ils entendront cet arrêt : « Allez un feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges »[4]. Paroles de consternation. Quant aux justes, ils se réjouiront de ce qu’ils entendront ; et, comme il est écrit : « La mémoire du juste sera éternelle ; il n’entendra point une parole sévère qui lui inspire de l’effroi »[5]. Quelle parole sévère ? Cette parole que ceux-ci doivent entendre : « Allez au feu éternel ». Dieu donc, qui peut nous accorder au-delà de nos demandes et de notre intelligence[6], cherche nos gémissements secrets, afin que nous mous coudions agréables à ses yeux et que nous ne vantions point notre justice devant les hommes. Celui qui prétend par sa justice plaire aux hommes, qui ne se propose point de faire bénir Dieu par ceux qui le verront, mais de s’attirer à lui-même des louanges, celui-là ne ferme point sa porte au bruit ; et comme cette porte est ouverte au bruit du monde, le Seigneur n’entend point comme il voudrait entendre. Travaillons donc à rendre pur ce lit ou notre cœur, afin que nous puissions y être à l’aise. Votre charité connaît tout coque l’on endure dans la vie publique, dans le forum, dans les querelles, dans les procès, dans l’embarras des affaires, et combien sont nombreux ceux qui en souffrent ; elle sait comment, fatigué des occupations du dehors, chacun retourne à la hâte en sa maison afin de s’y reposer, chacun cherche à terminer promptement les affaires qui le retiennent dehors, afin d’y goûter un peu de calme. C’est en effet pour cela que chacun a son logis, afin d’y être en paix. Mais s’il vient à souffrir des troubles jusque-là, où donc se reposera-t-il ? Quoi donc ? Encore doit-il goûter le calme chez lui ! Mais s’il rencontre des ennemis au-dehors et une Épouse acariâtre à la maison, il sort de nouveau. Quand il veut se reposer des fatigues du dehors, il rentre dans son intérieur ; et s’il n’y trouve pas plus de calme qu’au-dehors, où donc se reposera-t-il ? Du moins dans le secret de son cœur, c’est là que tu dois te retirer, dans l’intérieur de ta conscience. Si par hasard tu y rencontres cette Épouse qui n’a aucune parole amère, c’est-à-dire la sagesse de Dieu, vis avec elle dans une sainte union, repose dans ton lit secret, et que la fumée d’une conscience coupable ne t’en fasse point sortir. Mais c’est là que se retirait, loin des regards des hommes et pour méditer le crime, celui dont nous parle David ; et telles étaient ses pensées, qu’il ne pouvait même trouver la paix dans son cœur. « Sur sa couche il a médité les embûches ».
6. « Il s’est tenu à l’entrée de toute voie coupable »[7]. Qu’est-ce à dire : « Il s’est tenu ? » Il a persévéré dans le mal. C’est pourquoi il est dit de l’homme juste « qu’il ne s’est point arrêté dans la voie des pécheurs »[8]. De même que l’un ne s’est point arrêté, l’autre s’est tenu. « Il ne repousse aucun mal ». C’est là sa fin, le fruit qu’il vient recueillir ; s’il lui est impossible de s’exempter de tout mal, que du moins il le prenne en haine. Car si tu en avais la haine, à peine te surprendrait-il dans quelque acte mauvais. Il est vrai que le péché habite un corps mortel ; mais que nous dit l’Apôtre ? « Que le péché ne règne donc plus dans votre corps mortel pour vous assujettir à ses convoitises »[9]. Quand commencera-t-il à n’y plus habiter ? Lorsque s’accomplira en nous ce qu’il nous dit ailleurs « Quand ce qui est corruptible en nous aura revêtu l’incorruptibilité, et quand ce corps mortel sera revêtu d’immortalité »[10]. Avant cela il y a dans notre corps un attrait pour le mal ; mais il y a un attrait supérieur dans les douceurs de la parole de sagesse et des préceptes de Dieu. Surmonte donc le péché et la volonté de le commettre ; hais le péché et l’injustice, afin de t’unir à Dieu dans une commune réprobation. Dans cette union d’esprit à la loi de Dieu, tu obéis à cette loi selon l’esprit. Et si

  1. 1 Cor. 2,9
  2. Mt. 25,34
  3. Sag. 5,3
  4. Mt. 25,41
  5. Ps. 11,7
  6. Eph. 3,20
  7. Ps. 35,5
  8. Id. t, 1
  9. Rom. 6,12
  10. 1 Cor. 15,53