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sortir la multitude des grains destinés à remplir les celliers du père de famille. Pourquoi donc, lorsqu’on bat le blé, n’y laisse-t-on pas la paille, comme en un lieu convenable, jusqu’à ce qu’on vannera le grain pour la dernière fois, puisque ce que vous avez entendu doit s’accomplir à l’égard des méchants ?
11. Mais enfin, qu’arrivera-t-il ? « Sans sujet ils m’ont caché la scélératesse de leur piège »[1]. Qu’est-ce à dire : « Sans sujet ? » Je ne leur ai fait aucun mal : je ne leur ai nui en rien : « Ils m’ont injustement couvert d’outrages ». Qu’est-ce à dire : « Injustement ? » Ils ont dit des faussetés ; il n’ont apporté aucune preuve. « Qu’un piège dont ils ne se doutent pas vienne les surprendre ». Magnifique récompense ! Rien de plus juste. Ils m’ont tendu un piège, et ils l’ont caché pour m’empêcher de l’apercevoir : qu’un piège leur soit tendu, et qu’ils ne le voient pas. Je connais leur piège : quel est celui qui leur sera tendu ? Celui qu’ils ne voient pas. Voyons s’il ne le nomme pas ? « Qu’un piège dont ils ne se doutent pas vienne les surprendre ». Ils lui en ont tendu un ; un autre leur est-il réservé ? Non. Mais alors ? Chacun d’eux est enlacé dans ses propres péchés comme dans l’inextricable infinité des petits cheveux : ils sont trompés par cela même dont ils se sont servis pour tromper les autres : les moyens qu’ils ont employés pour nuire à autrui, tourneront à leur propre détriment : car il est dit ensuite : « Qu’ils soient eux-mêmes pris dans le piège qu’ils ont tendu en secret ». Comme si quelqu’un oubliait qu’il a préparé pour un autre un breuvage empoisonné, et qu’il le boive lui-même ; ou, comme si on creusait une fosse pour y faire tomber ses ennemis pendant la nuit, et que, ne se souvenant plus de ce qu’on a fait, on y tombe le premier en se promenant en ces parages. Il en est ainsi, mes frères ; croyez-moi donc sans hésiter, soyez-en sûrs ; et, si une raison élevée et éclairée par la prudence vous le permet, voyez, examinez la vérité de mes paroles. Les méchants ne nuisent à personne avant de se nuire à eux-mêmes ; il en est de la méchanceté comme du feu. Tu veux mettre le feu quelque part ? Il faut que l’instrument dont tu te sers, brûle le premier ; s’il ne brûle pas, il est incapable de porter le feu ailleurs. C’est une torche : tu l’approches de l’objet que tu prétends incendier : n’est-il pas indispensable que cette torche, placée entre tes mains, soit enflammée la première, pour qu’elle puisse communiquer la flamme à d’autres objets ? La méchanceté vient de toi ; ne seras-tu pas le premier sur lequel elle exercera ses ravages ? Si l’on blesse un arbre là où il s’enfonce enterre, est-ce qu’on n’endommage pas aussi ses racines ? Je te le dis : il peut se faire que ta malice ne nuise à personne autre, mais il est impossible qu’elle ne te nuise pas. Car, en quoi le saint homme Job, dont nous avons parlé tout à l’heure, a-t-il souffert du dommage ? Il est dit dans un autre psaume : « Comme un rasoir affilé, vous avez fait votre tromperie ». Que fait-on avec un rasoir affilé ? On fait tomber des cheveux, chose inutile. À quoi donc réussis-tu vis-à-vis de celui à qui tu prétends causer du dommage ? Si le méchant, auquel tu veux nuire, se met d’accord avec toi pour opérer le mai, c’est sa malice, et non la tienne, qui lui devient nuisible. Si, au contraire, la malice est étrangère à son âme, et que, dans la pureté de son cœur, il soit soumis à la voix qui lui dit : « Je suis moi-même ton salut », l’homme intérieur reste, chez lui, à l’abri de tes attaques extérieures ; mais la malice, qui vient du fond de ton cœur, t’enlève d’abord tes propres forces Tu as le cœur gâté ; c’est de là que ce ver rongeur est sorti, ne laissant dans ton âme rien de sain. « Qu’ils soient pris dans le piège qu’ils ont caché, et qu’ils tombent eux-mêmes dans le filet qu’ils ont tendu ». En entendant tout à l’heure ces paroles : « Qu’un piège, dont ils ne se doutent pas, vienne les surprendre », tu croyais peut-être autre chose. Dans ta pensée il s’agissait peut-être d’un malheur inévitable, résultat d’une cause cachée. Dans quel piège sont-ils donc tombés ? dans celui de leur propre méchanceté, qu’ils ont dérobée à mes regards. N’est-ce pas ce qui est advenu aux Juifs ? Dieu triomphé de leur malice, et leur malice les a vaincus. Il est ressuscité pour nous : ils ont trouvé la mort en eux-mêmes.
12. Voilà le sort réservé aux méchants qui veulent me nuire. Pour moi, que deviendrai-je ? Quel sera mon partage ? « Mon âme se réjouira dans le Seigneur », comme dans celui qui lui aura dit : « Je suis moi-même ton salut ». Ne recherchant, à vrai dire, aucune richesse eu dehors de lui, ne désirant avoir en abondance

  1. Ps. 51,4