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Combien cet autre n’en avait-il pas ? et en a-t-il été rassasié ? Il est donc mort pauvre, puisqu’il voulait encore acquérir plus qu’il n’avait. Mais ils n’ont pas un morceau de pain. Comment n’ont-ils pas de pain ? Si tu ne connais pas le vrai pain, le pain te dit lui-même : « Je suis le pain vivant, descendu du ciel »[1] ; et encore : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés »[2]. « Mais ceux qui cherchent le Seigneur auront les biens en abondance ». Oui, les biens dont nous avons parlé.
16. « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu »[3]. Vous pensez, mes frères, que c’est moi qui vous parle : croyez que c’est David qui vous parle de la sorte, croyez que c’est l’Apôtre qui vous parle, ou plutôt croyez que c’est Jésus-Christ qui vous dit : « Venez, mes enfants, écoutez-moi ». Écoutons-le donc ensemble, écoutez-le par ma bouche : il veut nous enseigner dans son humilité, ce fou divin, qui frappait du tambour, il veut nous enseigner. Et que dit-il ? « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu ». qu’il nous enseigne donc, prêtons-lui l’oreille, ouvrons surtout notre cœur. N’ouvrons pas des oreilles de chair, pour lui fermer nos cœurs, mais, comme le dit l’Évangile : « Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre »[4]. Qui refuserait d’entendre le Christ qui nous instruit par son Prophète ?
17. « Quel est l’homme qui souhaite la vie, met qui soupire après des jours heureux[5] ? » Voilà ce qu’il demande. Chacun d’entre vous ne répond-il pas : C’est moi ? En est-il un seul d’entre vous pour ne souhaiter pas la vie, c’est-à-dire, qui ne veuille vivre, et ne soupire après des jours heureux ? N’est-ce point là ce que vous dites chaque jour dans vos murmures : Combien dureront ces misères ? Chaque jour va de mal en pire. Nos ancêtres avaient des jours plus beaux, des jours plus heureux. Si tu pouvais interroger tes pères, tu les entendrais se plaindre aussi de leur temps ; ils te diraient dans leurs murmures : Nos pères étaient heureux, nous voilà misérables, nous avons des jours mauvais : le règne d’un tel était déplorable, nous avions cru qu’à sa mort nous aurions un peu de relâche, et nous sommes plus mal encore. O Dieu, faites luire pour nous d’heureux jours ! « Quel est l’homme qui souhaite la vie, et qui soupire après des jours heureux ? » Qu’il ne cherche point le bonheur ici-bas. Ce qu’il cherche est bien, mais il ne le cherche pas où il réside. Si vous cherchez un homme dans un pays qu’il n’habite pas, on vous dira : Vous cherchez un homme de bien, vous cherchez un grand homme, cherchez-le, mais pas ici, vous le chercherez vainement en ces contrées, vous ne l’y trouverez jamais. Vous cherchez des jours heureux, cherchons-les ensemble, mais non pas ici-bas. Et pourtant nos pères en avaient. Vous vous trompez, tous ont souffert en cette vie. Lisez les Écritures ; Dieu les a fait écrire afin qu’elles fussent pour nous une consultation. Au temps d’Elie, il y eut une grande famine, et nos pères en souffrirent cruellement. Des têtes d’ânes morts se vendaient à prix d’or, on tuait ses propres enfants pour les manger ; deux femmes résolurent ensemble de tuer leurs fils et de les manger : l’une tua son fils et toutes deux le mangèrent ; l’autre ensuite ne voulut plus tuer son enfant, et celle qui la première avait-tué le sien, l’exigeait pourtant ; ce procès fut porté devant le roi, elles comparurent devant lui, plaidant le meurtre de leurs enfants[6]. Que Dieu éloigne de nous ce que nous lisons de ces mets horribles. Mais dans le monde il y aura toujours des moments malheureux, et tous les jours seront heureux en Dieu. Abraham eut des jours heureux, mais dans l’intérieur de son cœur. Il eut des jours mauvais, quand la famine l’obligea de changer de pays pour chercher des vivres[7]. Tous ont cherché comme lui, Paul avait-il des jours heureux, lui qui souffrait « la faim, la soif, le froid, la nudité ? »[8] Mais que les serviteurs s’apaisent : le Seigneur lui-même n’eut point des jours heureux en ce monde, lui qui dut passer par les affronts, par les injures, par la croix, et par tant d’autres maux.
18. Que le chrétien ne murmure donc point, qu’il considère celui dont il suit les traces. Mais s’il veut des jours heureux, qu’il entende le divin docteur qui lui dit : « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu ». Que veux-tu, ô chrétien ? La vie et des jours heureux. Écoute

  1. Jn. 6,41
  2. Mt. 5,6
  3. Ps. 33,12
  4. Mt. 11,15
  5. Ps. 33,13
  6. 2 R. 6,26-30
  7. Gen. 12,10 ; 26,1
  8. 2 Cor. 11,27