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le mors, avec le fouet, jusqu’à ce qu’ils s’assouplissent, et portent leur maître ; mais toi, avant même que ta bouche soit meurtrie par le mors, sois doux et porte ton Dieu : ne recherche point la louange pour toi-même, cherche-la pour celui que tu portes, et chante alors : « Mon âme sera louée devant le Seigneur ; que les hommes doux l’entendent, et qu’ils s’en réjouissent » ; car si ce n’est point un homme doux et humble qui l’entend, loin de s’en réjouir, il s’en irrite : et tels sont ceux qui nous reprochent de les comparer à des ânes. Quant aux cœurs doux, puissent-ils écouter, et devenir ce qu’ils entendent !
6. Voyons la suite : « Louez le Seigneur avec moi[1] ». Quel est celui qui nous engage à bénir le Seigneur avec lui ? Quiconque, mes frères, appartient au corps de Jésus-Christ ne doit pas avoir de plus grand soin que de faire bénir le Seigneur avec lui. Quel que soit cet homme, il aime le Seigneur. Et une manière de lui témoigner son amour, c’est de ne point porter envie à ceux qui l’aiment aussi bien que lui. Celui qui est épris d’un amour charnel, ressent nécessairement dans cet amour le poison amer de la jalousie ; et s’il tient à voir dans une hideuse nudité, la créature qu’il poursuit d’un amour criminel, voudrait-il qu’un autre la vît aussi ? Il serait nécessairement dévoré de jalousie contre celui qui l’aurait vue également. Pour une femme, un préservatif de la chasteté, c’est de n’être vue que par celui qui en a le droit, mais par aucun autre, ou même par celui-là non plus. Mais 2 n’en est pas ainsi de la sagesse divine : nous la verrons face à face, nous la verrons tous, et sans jalousie. Elle se montre à tous, et pour tous elle demeure toujours pure et toujours chaste. Ceux qui la voient se changent en elle, et jamais elle ne se change en eux. C’est elle qui est la vérité, elle qui est Dieu. Or, avez-vous jamais ouï dire, mes frères, que Dieu subisse des changements ? La vérité s’élève par-dessus tout, c’est le Verbe de Dieu, la sagesse de Dieu par qui tout a été fait ; elle a des cœurs qui sont épris d’elle. Mais que dit celui qui l’aime avec transport ? « Bénissez avec moi le Seigneur ». Que je ne sois point le seul à bénir Dieu, le seul à l’aimer, le seul à l’étreindre dans ma joie ; et si je veux l’étreindre, je n’ai point à redouter qu’un autre ne trouve plus où poser sa main. Telle est l’ampleur de cette sagesse, que toutes les âmes peuvent s’y attacher et en jouir. Que dirai-je encore, mes frères ? Honte à ceux qui aimeraient Dieu de manière à l’envier aux autres ! Des hommes sans mœurs se passionnent pour un cocher, et quiconque aime un cocher ou un chasseur, voudrait que chacun l’aimât avec lui ; il presse, il engage : Aimez donc avec moi ce comédien, aimez avec moi telle ou telle infamie. Il crie au milieu du peuple, il veut que l’on partage son amour pour la honte ; et un chrétien ne crierait point dans l’Église pour inviter à aimer avec lui la divine vérité ? Stimulez donc parmi vous l’amour, mes frères, et criez à chacun des vôtres : « Bénissez avec moi le Seigneur ». Soyez tous dans cette émulation, autrement à quoi bon chanter des psaumes, et vous les expliquer ? Si vous aimez Dieu, entraînez à l’amour de Dieu tous ceux qui vous sont unis, tous ceux qui partagent votre demeure : si vous aimez le corps de Jésus-Christ ou l’unité de l’Église, entraînez-les à jouir de Dieu, et dites avec allégresse : « Bénissez avec moi le Seigneur ».
7. « Et louons ensemble la sainteté de son nom[2]. Qu’est-ce à dire : « Louons ensemble ? » Louons d’un commun accord, ainsi qu’on lit dans beaucoup d’exemplaires. « Bénissez avec moi le Seigneur, chantons la sainteté de son nom à l’unanimité ». Mais dire « ensemble », ou dire « d’un commun accord », c’est toujours le même sens. Entraînez donc dans cet amour tous ceux que vous pourrez ; exhortez, portez, suppliez, instruisez, rendez raison, avec douceur et bonté, entraînez-les à l’amour, afin que s’ils bénissent le Seigneur, ils le bénissent de concert. Les gens de Donat s’imaginent bénir le Seigneur ; mais que leur a fait le reste du monde ? Disons-leur donc, mes frères : « Bénissez le Seigneur avec nous, chantez ses louanges d’un commun accord ». Pourquoi vous séparer pour bénir le Seigneur ? Il est le seul Dieu, pourquoi voulez-vous lui faire deux peuples ? pourquoi séparer le corps du Christ ? Nous savons tous qu’il fut attaché à la croix alors qu’il frappait du tambour, et que sur la croix il rendit l’esprit ; et quand vinrent ceux qui l’y avaient suspendu, ils trouvèrent qu’il était déjà mort, et ils ne lui brisèrent point les jambes ; mais ils les rompirent aux larrons

  1. Ps. 33,4
  2. Ps. 33,4