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une ville que l’on appela dans la suite Jérusalem, au dire des savants. Donc, avant que les Juifs en fussent maîtres, il y avait là le prêtre Melchisédech, appelé, dans la Genèse, prêtre du Très-Haut[1], Ce fut lui qui vint au-devant d’Abraham, quand ce patriarche délivra Loth des mains de ses persécuteurs, et que pour délivrer ce frère, il tua ceux qui l’emmenaient en captivité. Après cette délivrance, Melchisédech vint au-devant de – lui ; et telle était la grandeur de Melchisédech, que ce fut lui qui bénit Abraham. Il prit du pain et du vin, puis-bénit Abraham, et Abraham lui donna la dîme. Voyez donc ce qu’il offrit, et l’homme qu’il bénit. Longtemps après David s’écrie : « Vous êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech ». C’était longtemps après Abraham, que l’Esprit de Dieu faisait ainsi parler David ; et c’était au temps d’Abraham que vivait Melchisédech. De quel autre David a-t-il pu dire : « Vous êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech », sinon de celui dont vous connaissez le sacrifice ?
6. Donc, le sacrifice d’Aaron – est aboli, et alors a commencé le sacrifice selon l’ordre de Melchisédech. Un visage, et je ne sais lequel, est donc changé. Quel est-il, celui-là que j’ignore ? Qu’il ne nous soit plus inconnu, car c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ, que nous connaissons. Il a voulu établir notre salut dans l’institution de son corps et de son sang. Par quel moyen ce corps et ce sang sont-ils venus en notre puissance ?[2] Par son humilité. S’il ne se fût fait humble, il ne serait point notre nourriture et notre breuvage. Voyez de quelle hauteur il est descendu : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu »[3]. Voilà l’éternelle nourriture, la nourriture des Anges, la nourriture des Vertus d’en haut, la nourriture des Esprits célestes ; ils mangent et ils sont rassasiés, et ce qui fait leur aliment et leur bonheur, n’en demeure pas moins tout-entier. Mais quel homme pourrait toucher à cette nourriture ? Quel cœur d’homme serait assez préparé ? Cette viande spirituelle devait donc être changée en lait, afin d’arriver aux enfants. Mais, comment une viande devient-elle du lait ? Comment peut-elle subir ce changement, si ce n’est en passant par la chair ? C’est là ce que fait la mère. Ce qu’a mangé la mère, l’enfant le mange aussi ; mais comme l’enfant est incapable de manger du pain, la mère doit faire passer ce pain par sa chair, et le rendre à son enfant dans le suc du lait, et par l’humilité des mamelles. Comment donc la divine Sagesse nous a-t-elle nourris du pain des Anges ? C’est que « le Verbe s’est fait chair, et a demeuré parmi nous »[4]. Voilà le fruit de l’humilité, qui donne à l’homme le pain des Anges, ainsi qu’il est écrit : « Il leur a donné le pain du ciel, l’homme a mangé le pain des Anges. »[5] C’est-à-dire, l’homme a mangé le Verbe, cette nourriture éternelle des Anges, et qui est égal à son Père ; car, « ayant la nature de Dieu, il n’a pas cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu ». Telle est la nourriture des Anges : « Mais il s’est anéanti lui-même en prenant la forme de l’esclave, et en se rendant semblable aux autres hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui ; il s’est humilié, se rendant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix »[6], afin que par la croix il rendît auguste pour nous le sacrifice du corps et du sang du Seigneur. Il a donc changé son visage devant Abimélech, ou devant le royaume de son père. Car le royaume de son père était le royaume des Juifs. Comment était-ce le royaume de son père ? Le royaume de David, le royaume d’Abraham. Car le royaume de Dieu son Père est plutôt l’Église que le peuple juif : mais Israël est le royaume de son père selon la chair. Il est dit en effet : « Dieu lui donnera le trône de David son père »[7]. On le voit donc ; David est selon la chair le père du Seigneur ; mais selon la divinité le Christ est Seigneur de David, et non son fils. Quant aux Juifs, ils ont connu le Christ selon la chair, mais non selon la divinité. C’est pourquoi il leur fit cette question : « De qui dites-vous que le Christ soit fils ? Fils de David », répondirent-ils. « Mais lui : Comment donc David, inspiré, l’appelle-t-il le Seigneur, en disant : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie fait de tes ennemis l’escalier de tes pieds ? Si donc David, au souffle de l’Esprit-Saint, l’appelle son Seigneur, comment est-il son fils ? Et ils ne pouvaient lui répondre »[8]. parce qu’ils ne connaissaient le Christ que des

  1. Gen. 14,18
  2. Mt. 26,26
  3. Jn. 1,1
  4. Jn. 1,14
  5. Ps. 77,24-25
  6. Phil. 2,6-8
  7. Lc. 1,32
  8. Mt. 22,42-46