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à toi, et quand cette volonté s’éloignait, il l’appelait ; et quand tu revenais, il t’effrayait ; et quand, sous le poids de la crainte, tu confessais tes fautes, il te consolait. C’est de lui que tu tiens tout ; c’est lui qui t’a donné l’existence, qui te donne le soleil, ainsi qu’aux méchants qui sont avec toi, qui donne la pluie[1], qui donne les fruits, qui ouvre les sources, qui donne la vie et le salut, et tant de consolations, lui qui te réserve ce qu’il ne donnera qu’à toi seul. Et qu’est-ce qu’il te réserve, si ce n’est lui-même ? Cherche dans tes désirs, si tu peux trouver mieux. C’est lui-même que Dieu te réserve. O avare ! à quoi bon aspirer au ciel ou à la terre ? Celui-là est bien supérieur, qui a fait le ciel et la terre : c’est lui que tu verras, lui que tu posséderas. Pourquoi souhaiter que ce domaine t’appartienne, et pourquoi dire en le traversant heureux le maître de ces biens ? C’est là ce que disent tous ceux qui le traversent. Mais le dire, mais le traverser, mais secouer la tête et soupirer, est-ce là le posséder ? La voix de la cupidité, c’est la voix de l’iniquité ; mais « Ne désirez point le bien du prochain »[2]. Bienheureux le maître de ce domaine, le maître de ce palais, le maître de cette campagne. Réprimez l’iniquité pour écouter la vérité. « Bienheureux le peuple dont… » Qu’est-ce ? Vous savez comment je dois achever. Désirez-le donc, afin de le posséder et d’être heureux enfin. Lui seul fera votre bonheur ; ce qui vous est supérieur, vous élèvera au-dessus de vous. C’est Dieu, dis-je, qui vous est supérieur, et c’est lui qui vous a faits. « Bienheureux le peuple dont Dieu est le Seigneur ». C’est ce qu’il faut aimer, ce qu’il faut posséder, ce que tu auras à ta volonté, ce que tu auras gratuitement.
17. « Bienheureux le peuple dont le Seigneur est Dieu ». Est-ce notre Dieu ? de quel peuple n’est-il pas Dieu ? Ce n’est point de la même manière qu’il est le Dieu de tous. Il est plus spécialement notre Dieu, pour nous, qui vivons de lui comme du pain de chaque jour. Qu’il soit aussi notre héritage, notre possession. N’étions-nous pas téméraires en faisant de Dieu notre héritage, de lui qui est Dieu, de lui qui est Créateur ? Ce n’est point de la témérité, c’est un transport d’amour, c’est l’élan de notre espérance. Que notre âme dise dans l’abandon de la sécurité : « C’est vous qui êtes mon Dieu », puisqu’il dit à notre âme : « C’est moi qui suis ton salut »[3]. Qu’elle le dise, et avec sécurité ; elle ne fera point injure à Dieu par ce langage, elle en ferait en ne le tenant point, lite fallait des arbres pour devenir heureux ? Écoute l’Écriture, qui dit de la Sagesse : « C’est l’arbre de vie pour ceux qui la possèdent »[4]. Vous le voyez, elle nous donne la sagesse pour héritage : mais de peur que vous ne croyiez que cette sagesse que l’Écriture vous assigne pour héritage, est inférieure à vous, elle ajoute : « Elle est stable pour ceux qui s’appuient sur elle comme sur le Seigneur ». Voilà que le Seigneur devient un bâton pour nous appuyer : l’homme peut s’y appuyer en toute sûreté, parce que cet appui ne manque jamais. Dites donc avec sécurité qu’elle est notre héritage ; c’est l’Écriture qui le dit à ceux qui la possèdent, et dans votre doute elle vous donne la confiance. Parlez donc avec assurance, aimez avec assurance, espérez avec assurance. Que le psalmiste vous suggère ces paroles : « Le Seigneur est la part de mon héritage »[5].
18. Donc, mes frères, nous serons heureux, si nous possédons le Seigneur. Mais quoi ? Le posséderons-nous sans qu’il nous possède lui même ? Pourquoi donc Isaïe a-t-il dit : « Seigneur, possédez-nous ?[6] » Dieu donc nous possède en même temps que nous le possédons ; et tout cela est pour notre bien. Toutefois il n’en est pas de lui comme de nous. Si nous le possédons, c’est pour notre bonheur, mais il ne trouve pas son bonheur à nous posséder, Il ne nous possède et ne se fait notre possession qu’afin de nous rendre heureux. Nous le possédons et il nous possède, parce que nous l’honorons, et qu’il nous cultive. Nous l’honorons comme un Dieu, il nous exploite comme sa terre. Que nous l’adorions, nul n’en doute ; mais qui nous assure qu’il nous cultive ? Lui-même, quand il dit : « Je suis la vigne, vous « en êtes le sarment, et mon Père est le vigneron »[7]. Nous trouvons l’un et l’autre dans ce psaume, l’un et l’autre y est indiqué. Déjà il nous a dit que nous possédons Dieu : « Bienheureux le peuple dont le Seigneur est Dieu ». De qui est ce champ ? disons-nous. D’un tel. Et celui-ci ? de tel autre. Et celui-là ? Faisons à propos de Dieu la même question. De même qu’à propos de tel domaine,

  1. Mt. 5,45
  2. Deut. 5,21
  3. Ps. 34,3
  4. Prov. 3,13
  5. Ps. 15,5
  6. Isa. 26,13
  7. Jn. 15,1-5