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l’Homme-Dieu instruisait ; il nous instruisait quand on le jugeait, afin de juger ensuite ceux qu’il aurait instruits. « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, s’il ne t’était donné « d’en haut ». Qu’est-ce à dire ? Est-ce l’homme seulement qui n’a de pouvoir qu’autant qu’il en reçoit d’en haut ? Le diable lui-même a-t-il osé enlever au saint homme Job la moindre brebis avant d’avoir dit à Dieu : « Etendez votre main », c’est-à-dire, donnez-moi le pouvoir ? Le diable voulait, Dieu ne le permettait point ; quand Dieu le permit, le diable eut le pouvoir ; le pouvoir n’est donc pas en lui, mais en Dieu qui a permis. Aussi Job, qui était bien instruit, ne dit pas, ainsi que je vous l’ai fait remarquer si souvent : Le Seigneur l’a donné, le diable l’a ôté mais bien : « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait »[1] ; et non, comme il a plu au diable. Vous donc, mes frères, qui ne pouvez qu’avec tant de peine goûter le pain salutaire de la parole, gardez-vous bien d’avoir d’autre crainte que celle de Dieu. L’Écriture nous avertit de ne craindre que lui seul. Que la terre entière craigne donc le Seigneur qui met des abîmes dans ses trésors. Qu’ils tremblent devant lui, tous ceux qui habitent la surface de la terre : « Car c’est lui qui a dit et tout a été fait ; il a commandé et tout a été créé ».
13. Mais aujourd’hui les princes, de méchants qu’ils étaient, sont devenus bons : ils ont eux-mêmes accepté la foi, et sur leur front resplendit le signe du Christ, signe plus précieux que toute perle de leur diadème les persécuteurs ont disparu. Qui a fait cela ? Toi, peut-être, afin de t’en glorifier ? « Le Seigneur dissipe « les desseins des nations, il réprouve les pensées des peuples, et renverse les conseils des princes »[2]. Quand ils ont dit : Exterminons les sur la terre ; si nous le faisons, je nom de chrétien disparaîtra : qu’ils subissent telle mort, tel genre de torture, qu’on leur inflige tel supplice. Ainsi disaient les princes, et l’Église grandissait au milieu de ces complots. « Le Seigneur confond les pensées des peuples, il renverse les conseils des princes ».
14. « Quant au dessein du Seigneur, il demeure éternellement, et les pensées de son cœur subsistent dans les siècles des siècles »[3]. Il y a ici répétition, car « le dessein » a la même signification que « les pensées du cœur », et ce qui est dit plus haut : « Demeure éternellement », est ici répété : « dans les siècles des siècles ». Ces répétitions sont une manière d’affirmer. Toutefois, quand le Prophète parle « des pensées de son cœur », gardez-vous de croire que Dieu s’assied pour méditer ce qu’il veut faire, et qu’il délibère en lui-même sur l’opportunité d’agir, ou de ne point agir. Ces lenteurs sont bien dans ta nature, ô homme, mais son Verbe court avec une extrême vitesse. Quelle lenteur de pensée peut-il y avoir chez ce Verbe qui est unique, et qui renferme tout[4] ? On emploie donc ce mot de pensées de Dieu, afin de se mettre au niveau de ton intelligence, afin encore que tu oses bien, autant qu’il est en toi, élever ton cœur, pour comprendre des paroles proportionnées à ta faiblesse : ce qu’elles désignent, en effet, est fort au-dessus de toi. « Les pensées de son cœur subsistent dans les siècles des siècles ». Quelles sont les pensées de son cœur, et quel est le dessein de Dieu qui demeure éternellement ? Pourquoi les nations ont-elles frémi contre ce dessein, et les peuples ont-ils tramé de vains complots[5] ? puisque le Seigneur confond les pensées des peuples, et renverse les desseins des princes. Où le dessein de Dieu peut-il subsister éternellement, si ce n’est en nous qu’il a vus dès longtemps, et qu’il a prédestinés[6] ? Qui peut effacer cette prédestination de Dieu ? Il nous a vus avant la création du monde, il nous a faits, il nous a envoyé son Fils, il nous a rachetés : voilà son dessein qui demeure éternellement, sa pensée qui subsiste dans les siècles des siècles. Les nations frémirent alors, leurs flots irrités se soulevèrent au grand jour ; qu’elles sèchent de dépit, maintenant qu’elles sont rassemblées et enfermées dans une outre. Elles ont fait librement éclater leur audace, qu’elles dévorent leurs pensées amères et déchirantes. Comment pourraient-elles détruire le dessein de Dieu qui demeure éternellement ?
15. Quel est ce dessein ? « Heureux le peuple »[7] Qui ne se réveille point à cette parole ? Car chacun aime le bonheur : et tel est la dépravation des hommes qu’ils veulent être méchants et non malheureux ; et quoique le malheur soit l’inséparable compagnon de la méchanceté, ces hommes dépravés, non seulement veulent le mal sans le malheur,

  1. Job. 1,11-21
  2. Ps. 32,10
  3. Id. 11
  4. Ps. 147,15
  5. Ps. 2,1
  6. Eph. 1,4
  7. Ps. 32,12