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donner, lui qui pourrait donner sans avoir promis ? Donc celui qui aime la miséricorde doit donner ce qu’il a promis ; mais comme il aime aussi le jugement, il doit exiger le fruit de ses dons. Aussi le Seigneur dit-il à un certain serviteur : « Que ne mettais-tu mon argent à la banque, afin qu’à mon retour j’en retirasse le fruit ? »[1] Je vous rappelle tout ceci, mes frères, afin que nous comprenions ce que nous venons d’entendre. Car il dit dans un autre endroit de l’Évangile : « Pour moi, je ne juge personne, mais la parole que je nous ai annoncée vous jugera au dernier jour[2] ». Et que celui qui ne veut point entendre ne dise point pour excuse qu’il ne lui sera rien demandé au dernier jour. Car c’est de son refus de recevoir ce qu’on lui donnait qu’on lui demandera compte. N’avoir pu recevoir et n’avoir pas voulu sont bien différents : on peut, dans un cas, faire valoir son impuissance ; mais dans l’autre, c’est la volonté qui est coupable. Donc « toutes les œuvres de Dieu sont dans la foi ; il aime la miséricorde et le jugement ». Recevez la miséricorde, mais craignez la justice. De peur que, quand il viendra nous redemander ce qu’il nous aura donné, il ne le fasse de manière à nous renvoyer les mains vides. Car il nous demande compte, et après le compte rendu, il nous donne l’éternité. Recevez donc la miséricorde, ô mes frères, recevons-la tous. Que nul d’entre vous ne s’endorme pour la recevoir, de peur qu’on ne le réveille pour son malheur au moment d’en rendre compte. Recevez la miséricorde ; voilà ce que Dieu nous dit, comme si, en un temps de famine, on criait : Recevez des vivres. Et si tu en trouvais en semblable occasion, quelle serait ta conduite ? Quel retard mettrais-tu à venir ? Eh bien ! aujourd’hui on te tient ce langage Recevez la miséricorde, « car Dieu aime la miséricorde et le jugement ». Après l’avoir reçue, fais-en un saint usage, afin d’en rendre un compte facile, quand viendra pour juger celui-là même qui te prête sa miséricorde en ces temps de famine.
3. Garde-toi donc de me dire : D’où me viendra cette miséricorde ? et où me faut-il aller ? Souviens-toi de ces paroles que tu viens de chanter : « La terre est pleine des miséricordes du Seigneur »[3]. Où donc l’Évangile n’est-il pas prêché ? Où cette parole de Dieu ne se fait-elle pas entendre ? Où n’offre-t-on pas le salut ? Il n’est besoin pour toi que de vouloir : les greniers sont pleins. Cette plénitude, cette abondance n’a pas attendu que tu vinsses la chercher, elle est allée te trouver dans ton sommeil. Il n’est pas dit : Que les nations se lèvent, et qu’elles aillent à tel endroit ; mais ces mystères ont été annoncés à chaque peuple dans la contrée qu’il habitait, afin que cette prophétie fût accomplie : « Les hommes l’adoreront chacun dans sa patrie »[4].
4. « La terre est pleine des miséricordes du Seigneur ». Que dire des cieux ? Écoute ce qu’il en est des cieux. La miséricorde y est inutile, puisqu’il n’y a aucune misère. Sur la terre, la misère abonde, mais il y a une surabondance de miséricordes. La terre est pleine des misères de l’homme, « et la terre est pleine des miséricordes du Seigneur ». Et toutefois, dans le ciel où il n’y a point de misère, et où l’on n’a pas besoin de miséricorde, n’a-t-on pas besoin du Seigneur ? Heureux ou malheureux, tout a besoin de Dieu. Sans lui, le malheur n’a plus de soulagement, comme sans lui, le bonheur n’a plus de règle. Si donc, après avoir entendu : « La terre est pleine des miséricordes du Seigneur », tu t’informais des cieux, écoute combien les cieux ont besoin de lui. « C’est la parole du Seigneur qui affermit les cieux ». Ils ne s’affermissent donc point d’eux-mêmes, et leur solidité n’est point leur ouvrage. « C’est la parole du Seigneur qui affermit les cieux, et toute leur force vient du souffle de sa bouche »[5]. Ils n’avaient donc rien par eux-mêmes, et ce qui leur vient du Seigneur n’était pas un supplément. « C’est du souffle du Seigneur que leur vient », non en partie, mais totalement « leur solidité ».
5. Voyez, mes frères, que les œuvres du Fils et du Saint-Esprit sont les mêmes. Nous ne devons point négliger de le dire en passant, à propos de certaines distinctions injustes, et de quelques confusions trop profondes. Il y a fausseté dans l’un et dans l’autre système. Par défaut de distinction, ceux-ci confondent la créature avec le Créateur, et comptent parmi les créatures l’Esprit de Dieu, Esprit qui est créateur : ceux-ci discernent pour confondre ; et puissent-ils être confondus et se convertir, comprendre ici que le

  1. Lc. 19,23
  2. Jn. 8,15 ; 12,48
  3. Ps. 32,5
  4. Soph. 2,11
  5. Ps. 22,6