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l’affliction, il enseigne ceux qui sont studieux, il vient en aide à ceux qui combattent : il n’abandonne aucun de ceux qui sont dans la peine et qui crient vers lui ; il nous donne ce que nous devons lui offrir en sacrifice, et nous met en main de quoi l’apaiser. Qu’un temps si précieux de miséricorde ne passe point pour nous, ô mes frères, qu’il ne s’écoule point inutilement pour nous. Toutefois viendra le jugement avec son repentir, et repentir sans fruit. « Ils diront en eux-mêmes dans le repentir, et gémissant dans l’angoisse de leur esprit » ; c’est là ce qui est écrit au livre de la Sagesse : « De quoi nous a servi l’orgueil, et que nous a procuré l’ostentation des richesses ? Toutes ces choses ont passé comme l’ombre »[1]. Disons maintenant : « Tout passe comme l’ombre ». Disons utilement : « Tout passe », de peur qu’un jour nous ne disions sans profit : « Tout est passé ». C’est donc maintenant le temps de la miséricorde que doit suivre le temps du jugement.
11. Toutefois, mes frères, gardez-vous de croire que ces deux attributs puissent être séparés en Dieu. Il semble, en effet, qu’ils soient contradictoires, et que la miséricorde ne devrait point se réserver le jugement, comme le jugement devrait se faire sans miséricorde. Lis Dieu est tout-puissant, et dans sa miséricorde il exerce la justice, comme dans ses jugements il n’oublie point la miséricorde. Car il nous prend en pitié, il considère en nous son image, notre fragilité, nos erreurs, antre aveuglement, et il nous appelle, et il pardonne les fautes à ceux qui se tournent vers lui, mais il les retient à ceux qui ne se convertissent point. Est-il miséricordieux pour ceux qui sont injustes ? Abandonne-t-il pour cela sa justice, et doit-il confondre le juste avec l’injuste ? Vous paraîtrait-il juste de traiter de la même manière le pécheur qui se convertit et celui qui ne se convertit point, de faire le même accueil à celui qui avoue ses fautes et à celui qui les déguise, à l’homme humble et à l’homme superbe ? Dieu donc exerce la justice, tout en faisant miséricorde, et dans cette justice, il exercera sa miséricorde à l’égard de ceux à qui il dira : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger »[2]. Car il est dit quelque part dans une lettre apostolique : « Dieu exercera un jugement sans miséricorde envers celui qui n’aura pas fait miséricorde »[3]. « Bienheureux les miséricordieux », est-il dit encore, « parce qu’ils obtiendront miséricorde »[4]. Donc en les jugeant, Dieu usera de miséricorde, mais non sans discernement. Car s’il n’use pas de miséricorde envers tous, mais seulement envers celui qui aura été miséricordieux, sa miséricorde sera juste, puisqu’il n’y aura point de confusion. C’est évidemment par un effet de sa miséricorde qu’il nous remet nos péchés ; c’est par miséricorde qu’il nous accorde la vie éternelle ; mais voyez en même temps l’équité : « Pardonnez, et l’on vous pardonnera ; donnez, et il vous sera donné »[5]. Assurément, « vous donner, vous pardonner », telle est bien la miséricorde. Mais si la miséricorde était séparée de la justice, le Sauveur ne dirait point : « On se servira pour vous de la même mesure dont vous vous serez servis »[6].
12. Tu as entendu, ô mon frère, comment Dieu exerce la miséricorde et le jugement, et toi aussi, sois juste et miséricordieux. Ces deux attributs sont-ils exclusivement ceux de Dieu et non des hommes ? S’ils ne regardaient point les hommes, Dieu ne dirait pas aux Pharisiens : « Vous omettez ce qu’il y a de plus important dans la loi : la justice et la miséricorde »[7]. Garde-toi de croire que tu ne doives exercer que la miséricorde et non le jugement. Tu es quelquefois arbitre dans un différend entre deux hommes, dont l’un est riche et l’autre pauvre ; et il arrive que la mauvaise cause est celle du pauvre, tandis que le riche soutient la vérité ; si tu es ignorant dans les choses de Dieu, tu croiras bien faire de prendre le pauvre en pitié, d’atténuer, de cacher son tort, de vouloir le justifier, afin qu’il paraisse avoir pour lui le bon droit : et si l’on te reproche l’injustice de ta sentence, tu prends pour excuse une fausse miséricorde, en disant : Je sais tout cela, j’ai compris l’affaire, mais c’était un pauvre, il fallait en avoir pitié. N’est-ce point là faire miséricorde au détriment de la justice ? Mais comment, diras-tu, pouvoir être juste sans oublier la miséricorde ? J’aurais prononcé contre un pauvre qui n’avait pas de quoi payer, ou s’il avait pu payer, il n’aurait plus rien eu pour vivre ? Voici la réponse de Dieu : « Tu ne feras pas acception du pauvre dans tes jugements »[8].

  1. Sag. 5,3.8-9
  2. Mt. 25,25
  3. Jac. 2,13
  4. Mt. 5,7
  5. Lc. 6,37-38
  6. Mt. 7,2
  7. Id. 23,23
  8. Exod. 33,3