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que mes pieds ne fussent ébranlés »[1]. De même qu’en posant un bois tortueux sur une surface plane, vous ne pouvez le ranger, ni le consolider, ni le faire joindre : mais il est toujours branlant et sans solidité ; non point que la surface soit inégale, mais parce que le bois que vous y voulez appliquer est tortueux ; de même votre cœur, s’il est dépravé, s’il est tortueux, ne peut s’unir à Dieu qui est la rectitude même ; il ne peut s’unir à Dieu par une véritable adhésion, ainsi qu’il est dit : « Celui qui adhère au Seigneur, devient un même esprit avec lui »[2]. Donc, « glorifiez-vous, ô vous qui avez le cœur droit », dit le Prophète. Comment peuvent se glorifier ceux qui ont le cœur droit ? Écoutez de quelle manière ils se glorifieront : « Non seulement, dit l’Apôtre, nous nous glorifions dans l’espérance, mais nous nous glorifions dans nos afflictions »[3]. Tressaillir dans les biens et dans les délices, c’est chose facile ; mais l’homme au cœur droit tressaille même dans la tribulation. Or, vois ce qu’est sa joie, quand on l’afflige, car ce n’est pas en vain, ce n’est pas sans raisons qu’il tressaille, Vois l’homme au cœur droit : « Nous savons n, dit saint Paul, que la tribulation produit la patience, la patience la pureté, et la pureté l’espérance ; or, cette espérance n’est point vaine, car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné »[4].
26. C’est là, mes frères, la droiture du cœur. Quel que soit l’homme à qui il arrive quelque chose, qu’il s’écrie : « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté ». Telle est la droiture du cœur : « Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait : que le nom du Seigneur soit béni »[5]. Quel est celui qui a ôté ? Qu’a-t-il ôté ? À qui a-t-il ôté ? Quand l’a-t-il ôté ? Que le nom du Seigneur soit béni. Il ne dit point : Le Seigneur l’a donné, le diable l’a ôté. Que votre charité le remarque bien, afin de ne dire jamais : C’est le diable qui m’a fait cela. C’est à Dieu qu’il faut rapporter le châtiment que tu subis, car le diable n’a aucun pouvoir sur toi, que par la permission de Celui qui use de son souverain pouvoir, ou pour châtier ou pour corriger ; pour châtier l’impie, pour corriger ses enfants. « Le Seigneur happe celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants »[6]. Ne prétends donc point échapper au fouet, à moins que tu ne veuilles renoncer à l’héritage, Le Seigneur châtie tout enfant qu’il adopte. Est-ce tous, sans exception ? Où donc te cacher ? C’est tout enfant ; il n’a point d’exception ; nul n’est adopté sans passer par le fouet. Comment ? pas un seul ? Veux-tu comprendre qu’il n’y en aura pas un seul ? Son Fils unique était sans péché, il n’a pas été admis sans châtiment. C’est pourquoi son Fils unique, chargé de tes infirmités, se personnifiant avec toi, comme le chef, qui représente le corps, aux approches de la passion, fut saisi de tristesse[7], afin de te procurer la joie ; il fut plongé dans l’affliction, pour te consoler, et pouvoir, dans sa divinité, affronter les souffrances sans aucune tristesse. Le général ne pouvait-il pas ce qu’a pu le soldat ? Et comment le soldat l’a-t-il pu ? Écoute Paul qui tressaille quand la passion approche. « Pour moi », dit-il, « je vais être immolé, et le temps de ma mort approche. J’ai bien combattu ; j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi : il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice qui m’est réservée, et que le Seigneur, comme un juste juge, m’accordera dans ce grand jour, non seulement à moi, mais encore à tous ceux qui désirent son avènement »[8]. Voyez comme il tressaille quand il va souffrir. Il tressaille donc celui qui va recevoir la couronne, et celui qui va la donner est dans la tristesse. Que figurait donc le Fils de Dieu, sinon l’infirmité de quelques-uns qui s’attristent en face de la douleur ou de la mort ? Mais voyez encore, comme il les amène à la droiture du cœur. Tu voulais vivre, et te mettre à l’abri de tout accident ; mais Dieu en a décidé autrement : voilà deux volontés ; que la tien ne se conforme donc à celle de Dieu, et non pas que celle de Dieu s’assouplisse à ta tienne ; car la tienne est dépravée, celle de Dieu est la règle même : que la règle subsiste, afin qu’elle serve à redresser tout ce qui est tortueux, Voyez comme cet enseignement est bien celui de Jésus-Christ. « Mon âme », dit-il, « est triste jusqu’à la mort » ; puis : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ». C’est là que perce la volonté humaine. Mais écoutez le cœur droit : « Et pourtant, non comme je veux, mais comme vous voulez, ô mon Père »[9]. C’est là ton modèle, dans la

  1. Ps. 72,2
  2. 1 Cor. 6,17
  3. Rom. 5,3
  4. Id. 3,4-5
  5. Job. 1,21
  6. Héb. 12,6
  7. Mt. 26,38
  8. 2 Tim. 4,6-8
  9. Mt. 26,38-39