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sinon l’eau qui nous fait dire avec le Psalmiste : « Je l’ai dit : Je confesserai contre moi mon injustice au Seigneur » ; et encore : « Pour moi, j’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous »[1]. Or, cette eau de la confession des péchés, cette eau qui apprend au cœur à s’humilier, cette eau de la vie et du salut, cette eau qui porte l’homme à se mépriser, à ne point trop présumer de lui-même, à ne rien s’attribuer dans son orgueil ; cette eau donc de la pure doctrine, on ne la trouve dans aucun livre des païens, ni chez les Epicuriens, ni chez les Stoïciens, ni chez les Manichéens, ni chez les Platoniciens ; et même partout où l’on rencontre d’excellents préceptes de morale et de conduite, on ne trouve pas pour cela cette humilité divine. L’humilité pour nous émane d’une autre source elle nous vient du Christ. Quelle autre leçon pouvait-il nous donner en s’humiliant lui-même, en devenant obéissant jusqu’à la mort, et même jusqu’à la mort de la croix ?[2] Quel autre enseignement nous donnait-il en payant la dette qu’il n’avait pas contractée, afin de nous libérer de notre dette ? Quel autre enseignement nous donnait-il en recevant le baptême, lui qui n’a commis aucun péché[3], en se faisant clouer à la croix, lui qui n’était point coupable ? Que nous enseignait-il, sinon cette humilité ? Ce n’est pas sans raison qu’il adit : « Je suis la voie, la vérité et la vie »[4]. Telle est donc l’humilité, qu’elle nous rapproche de Dieu, parce que « le Seigneur se tient près de ceux qui ont le cœur contrit »[5]. Or, dans le débordement de ces grandes eaux qui s’élèvent contre Dieu, qui enseignent l’orgueil et l’impiété, nul ne saurait approcher de Dieu.
19. Mais toi qui es déjà justifié, es-tu encore au milieu de ces grandes eaux ? Oui, mes frères, même quand nous confessons nos fautes, nous entendons le bruit des grandes eaux qui nous environnent de toutes parts. Nous ne sommes point dans le déluge même, et ce déluge néanmoins nous environne. Les eaux nous serrent de près, mais sans nous accabler ; elles nous agitent, mais sans nous submerger. Que feras-tu donc, ô mon frère, toi qui es au milieu du déluge, et qui vis dans ce monde pervers ? Se peut-il que tu n’y entendes point ces docteurs, que leurs doctrines d’orgueil n’arrive pas à tes oreilles, et que chaque jour leurs maximes ne mettent point ton cœur à la torture ? Que dira donc au milieu de ce déluge le chrétien déjà justifié et qui se confie en Dieu ? « Seigneur, vous êtes mon refuge, dans la persécution qui m’environne »[6]. Que les autres cherchent un abri chez leurs idoles, ou chez heurs démons, ou dans leurs forces, ou dans la défense de leurs péchés : pour moi, dans ce déluge, il n’y a que vous, Seigneur, qui puissiez me mettre à l’abri de la persécution qui m’environne.
20. « Délivrez-moi, ô vous qui êtes ma joie »[7]. Pourquoi vouloir qu’on te rachète, si tu es dans la joie ? « Rachetez-moi, ô vous qui êtes ma joie ». J’entends à la fois, et le cri de l’allégresse : « Vous êtes ma joie », et la voix du gémissement : « Rachetez-moi ». Tu tressailles et tu gémis. C’est vrai, me répond le Prophète, je tressaille et je gémis : je tressaille dans l’espérance, je gémis encore dans la réalité. « Rachetez-moi, ô vous qui êtes ma joie ». Réjouissez-vous dans l’espérance, nous dit l’Apôtre ; ce qui rend bien cette parole : « O vous qui êtes ma joie ». Mais pourquoi : « Délivrez-moi ? » Saint Paul nous le dit ensuite : « Soyez patients dans la tribulation »[8]. L’Apôtre lui-même était déjà justifié, et que dit-il néanmoins ? « Nous-mêmes aussi, qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement ». Pourquoi donc, « rachetez-moi ? C’est que nous-mêmes nous gémissons dans l’attente de l’adoption, qui sera la délivrance de nos corps »[9]. Ainsi « rachetez-moi » signifie que nous gémissons en nous-mêmes, attendant que nos corps soient rachetés. Pourquoi cette expression : « Vous êtes ma joie ? » L’Apôtre l’explique peu après en disant : « C’est par l’espérance que nous sommes sauvés ; mais l’espérance qui verrait ne serait plus une espérance. Comment espérer ce que l’on voit déjà ? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience ». Espérer, c’est jouir ; attendre avec patience, c’est gémir encore : car on n’a que faire de patience, quand on ne souffre point. Ce que l’on appelle tolérance, patience, souffrance, longanimité, tout cela ne se dit que des peines que l’on endure. Si vous êtes

  1. Ps. 11,5
  2. Phil. 2,8
  3. Mt. 3,13
  4. Jn. 14,6
  5. Ps. 50,19
  6. Ps. 31,7
  7. Id.
  8. Rom. 12,12
  9. Id. 8,23-25