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tiens vos paroles, ô grand Apôtre. Assurément votre dessein est de prêcher ici la foi sans les œuvres : mais l’œuvre de la foi est la charité : et la charité ne peut demeurer oisive : elle s’abstient du mal, elle fait tout le bien possible. Quelle est en effet l’œuvre de la charité ? « Fuis le mal, et opère le bien »[1]. Telle est donc la foi sans les œuvres, que vous prêchez, quand vous dites ailleurs : « En vain j’aurais la foi jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai la charité, cela ne me sert de rien »[2]. Donc la foi n’est rien sans la charité, et si la charité, partout où elle existe, ne peut demeurer inactive, c’est la foi qui agit par la charité. Comment donc l’homme sera-t-il justifié par la foi sans les œuvres ? L’Apôtre nous répond : O homme, si je t’ai parlé de la sorte, c’est afin que tu ne présumes pas témérairement de tes œuvres, et que tu n’attribues pas à leur mérite le don de la foi que tu as reçu. Loin de toi de compter sur tes œuvres qui ont précédé la foi ; sache bien que la foi a trouvé en toi un pécheur ; et si le don de cette foi t’a justifié, c’est qu’elle a trouvé en toi un impie à justifier. « A l’homme qui croit en celui qui justifie l’impie, la foi est imputée à justice »[3]. Mais pour l’impie, être justifié, c’est d’impie devenir juste ; et s’il devient juste, d’impie qu’il était, quelles sont les œuvres des impies ? Que l’impie nous vante ses œuvres, et nous dise : Je donne aux pauvres, je ne dérobe rien à personne, je ne désire point l’Épouse d’autrui, je ne tue personne, je ne fais tort à qui que ce soit, je rends les dépôts que l’on m’a confiés même sans témoins : qu’il nous tienne ce langage, et je demande s’il est juste ou impie. Comment puis-je être impie, me dira-t-il, avec de telles œuvres ? Comme étaient ceux dont il est dit : « Ils ont servi la créature plutôt que le Créateur, qui est béni dans tous les siècles »[4]. Comment serais-tu impie ? Comment ? si dans ces bonnes œuvres, tu espères ce qu’il faut espérer en effet, mais non de celui en qui doit être notre espérance ; ou si tu espères ce que tu ne dois pas espérer, même de celui qui doit nous donner la vie éternelle, n’est-ce pas. être impie ? Tu es impie d’attendre la félicité temporelle pour prix de tes bonnes œuvres. Telle n’est point la récompense de la foi. La foi est précieuse, tu l’estimes trop peu. Tu es donc impie, et tes œuvres ne sont rien. En vain dans tes bonnes œuvres, tu déploies de grandes forces, et tu parais gouverner habilement ton vaisseau, tu vas heurter un écueil. Qu’est-ce encore ? si tu espères ce qu’il faut espérer en effet, c’est-à-dire la vie éternelle, mais que tu ne l’espères pas du Seigneur notre Dieu, par Jésus-Christ, de qui seul on peut l’obtenir, si tu crois que cette vie éternelle te viendra par la milice du ciel, par le soleil, par la lune, par les puissances de l’air, de la mer, des terres, des astres, tu es impie. Crois en Celui qui donne la justice à l’impie, afin que tes bonnes œuvres aient la bonté réelle ; puisqu’on ne peut les appeler bonnes, que quand elles sortent d’une bonne racine. Comment cela ? Ou tu attends, du Dieu éternel, la vie du temps, ou des démons la vie éternelle : dans l’un et l’autre cas tu es un impie. Corrige ta foi, redresse ta foi, et surtout redresse ta route et alors avec des pieds agiles, marche en toute sécurité, cours, tu es dans le bon chemin : plus sera prompte ta course, et plus sera heureuse ton arrivée. Mais peut-être chancelles-tu – quelque peu ; du moins n’abandonne pas la route : tu arriveras, quoique plus tard : loin de toi de t’arrêter, de retourner en arrière, de t’égarer.
7. Qu’est-ce donc, mes frères ? Quels sont les hommes heureux ? Ce ne sont point les hommes en qui Dieu ne trouve aucun péché ; car il en trouve chez tous les hommes : « Puisque tous ni péché, tous ont besoin de la « gloire de Dieu »[5]. Si donc on trouve des fautes chez tous les hommes, il ne reste d’heureux, que ceux dont les péchés sont pardonnés. C’est ce que nous insinue l’Apôtre en ces termes : « Abraham crut à Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice »[6]. Mais la récompense que l’on donne à celui qui travaille, qui compte sur ses œuvres, qui attribue à leur mérite la foi qui lui a été donnée, cette récompense ne lui est pas imputée comme une grâce, mais comme une dette. Qu’est-ce à dire, sinon que notre récompense prend le nom de grâce ? Si c’est une grâce, elle est donnée gratuitement. Qu’est-ce à dire qu’elle est donnée gratuitement ? Qu’elle ne coûte rien. Tu n’as fait aucun bien, et tes péchés te sont remis. On cherche tes œuvres, et l’on n’en trouve que de mauvaises. Si Dieu rendait à ces œuvres selon leur valeur, il te damnerait : « Car la

  1. Ps. 36,37
  2. 1 Cor. 12,2
  3. Rom. 4,5
  4. Id. 1,25
  5. Rom. 3,23
  6. Id. 4,3