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commettras point l’adultère ; tu ne tueras point, tu n’auras aucun mauvais désir, et tout autre précepte est résumé dans cette parole : Tu aimeras le prochain comme toi-même. L’amour du prochain n’opère pas le mal. L’amour est donc l’accomplissement de la loi »[1]. Est-ce que la charité te permet de nuire d’aucune sorte à celui que tu aimes ? Mais peut-être, sans lui faire aucun mal, ne lui fais-tu aucun bien. La charité, je te le demande, peut-elle te permettre de ne pas faire tout le bien possible à celui que tu aimes ? N’est-ce point cette charité qui prie même pour les ennemis ? Pourrait-on, en cherchent le bien d’un ennemi, abandonner un ami ? La foi donc sera sans œuvres, si elle est sans charité. Mais afin de ne point surcharger ton esprit de ces œuvres de foi, joins à la foi l’espérance et la charité, et mets-toi peu en peine des œuvres. La charité ne saurait être oisive. Qu’est-ce en effet qui nous stimule même à faire le mal, sinon l’amour ? Cherche-moi un amour stérile, un amour sans action. Les crimes, les adultères, les forfaits, les homicides, les débauches, tout cela n’est-il pas l’œuvre de l’amour ? Purifie donc ton amour ; amène dans ton jardin ce ruisseau qui va se perdre à l’égout ; qu’il ait pour le Créateur du monde cette pente qu’il avait pour le monde lui-même. Vous a-t-on dit : N’aimez rien ? Jamais. Ne rien aimer, c’est le propre des âmes lâches, sans vie, fades et misérables. Aimez donc, mais voyez ce qu’il faut aimer. On appelle charité l’amour de Dieu, l’amour du prochain. L’amour du monde, l’amour du siècle, se nomme passion. Réprimez la passion, exercez la charité. Car la charité même de celui qui fait le bien, lui donne l’espoir d’une conscience pure. La bonne conscience renferme en effet l’espérance ; et comme la mauvaise est tout à fait dans le désespoir, la bonne s’alimente d’espérance. Vous posséderez ainsi les trois vertus dont parle saint Paul : La foi, l’espérance et la charité[2]. Ailleurs encore, il nomme ces trois vertus, mais au lieu de l’espérance, il met la bonne conscience : « Telle est la fin des commandements », dit-il. Mais qu’est-ce que la fin d’un précepte ? Ce qui lui donne sa perfection, et non ce qui l’abroge. Dire en effet : Je suis à la fin de mon pain, c’est autre chose que dire : Je suis à la fin de la robe que je tissais. La fin de mon pain, signifie qu’il n’en reste plus ; la fin de ma robe, signifie qu’elle est achevée. Et néanmoins ce mot de fin se dit dans l’un et dans l’autre cas. L’Apôtre n’appelle donc pas fin de la loi, ce qui tendrait à la détruire, mais plutôt ce qui la perfectionne, ce qui est pour elle non point la consomption, mais la consommation. Donc la fin de la loi consiste en ces trois vertus : « La fin de la loi », dit-il, « consiste dans la charité qui émane d’un cœur pur, d’une bonne conscience, et d’une foi sans dissimulation ». La bonne conscience rem place ici l’espérance, car celui-là espère, qui a la conscience pure. Mais l’homme rongé par une conscience coupable, répudie l’espérance et n’en a plus que pour la damnation. Afin donc d’espérer le ciel, qu’il ait une bonne conscience, et pour avoir une bonne conscience, qu’il croie et qu’il agisse. Ce qui fait qu’il croit, c’est la foi, et qu’il agit, c’est la charité. Saint Paul, dans un endroit, nomme donc en premier lieu la foi. « La foi, l’espérance, et la charité »[3] ; ailleurs il commence par la charité : « La charité qui émane d’un cœur pur, de la bonne conscience, et de la foi sans dissimulation »[4]. Nous autres, nous commençons quelquefois par le milieu, par la conscience pure, ou l’espérance. Qu’il ait donc, je le répète, la conscience pure, celui qui veut avoir une sainte espérance ; et pour avoir une bonne conscience, qu’il croie et qu’il agisse. Du milieu, nous allons au commencement et à la fin : Qu’il croie et qu’il agisse. Ce qui fait qu’il croit, c’est la foi ; ce qui fait qu’il agit, c’est la charité.
6. Comment donc l’Apôtre a-t-il dit que l’homme est justifié sans les œuvres, et par la foi, tandis qu’ailleurs il dit : « La foi qui agit par la charité ?[5] » N’opposons donc plus saint Jacques à saint Paul, mais bien saint Paul à lui-même, et disons-lui : D’une part, vous nous permettez de pécher impunément, par ces paroles : « Nous croyons que l’homme est justifié par la foi sans les œuvres »[6]. Et d’autre part, vous nous dites que « la foi agit par la charité ». Comment se fait-il que, selon vous, je me crois en sûreté sans faire aucune bonne œuvre, et selon vous encore, il me semble que je ne puis avoir ni la foi, ni l’espérance, si je n’agis par la charité ? Car je

  1. Rom. 12,9-10
  2. 1 Cor. 12,13
  3. 2 Cor. 13,13
  4. 1 Tim. 1,5
  5. Gal. 5,6
  6. Rom. 3,28