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et le jugement, non seulement la miséricorde mais aussi le jugement[1], trouve cet homme dans une fausse présomption de la bonté divine, abusant de la divine miséricorde pour sa propre perte, et ne peut que le damner. Une telle pensée est donc pour l’homme un dangereux précipice. Mais s’il redoute ce danger, au point de se confier en lui-même, et que par une téméraire présomption de sa justice et de ses forces, il se propose d’accomplir toute justice et d’observer exactement ce qu’ordonne la loi de Dieu, au point de ne pécher aucunement ; s’il se regarde comme tellement maître de sa vie qu’il puisse ne jamais tomber, ne jamais faiblir, ne jamais chanceler, ne jamais s’aveugler, et qu’il attribue ce résultat à la puissance de sa volonté ; quand même il accomplirait tout ce qui paraît juste aux yeux des hommes, sans qu’il parût rien de répréhensible dans sa vie, Dieu devrait encore punir cette présomption, cette vaine ostentation d’orgueil. Qu’est-ce donc ? si l’homme prétend se justifier lui-même, s’il présume de sa justice, il tombe : s’il considère attentivement sa faiblesse, et que se confiant en la divine miséricorde, il néglige de se purifier de ses taules, il se plonge dans l’abîme du vice, il tombe encore. Péril à droite en présumant de sa justice, péril à gauche en espérant l’impunité. Écoutons la voix de Dieu qui nous crie : « Ne vous détournez ni à droite ni à gauche2 ». vous appuyez point sur votre justice pour espérer le ciel, ni sur la divine miséricorde pour pécher. Précepte divin qui vous détourne de ce double écueil, et de l’exaltation de l’orgueil et de la profondeur du crime. Vous élever jusqu’à l’une, c’est appeler votre chute ; descendre jusqu’à l’autre, c’est vous engloutir. N’allez donc, dit le Sage, ni à droite ni à gauche. Je vous le répète en un mot, afin de le graver dans votre esprit : Ne vous appuyez point sur votre justice pour espérer le ciel, ni sur la divine miséricorde pour pécher. Que faire alors, me répondrez-vous ? Notre psaume nous l’enseigne : et j’espère, Dieu aidant, qu’après en avoir écouté la lecture et l’explication, nous connaîtrons la voie que nous devons prendre, ou dans laquelle nous devons nous tenir avec courage. Que chacun nous écoute selon ses facultés, et qu’il s’afflige ou se réjouisse selon que sa conscience va lui suggérer un vice à corriger, une vertu à applaudir. S’il s’aperçoit qu’il ait fait fausse route, qu’il revienne dans le bon chemin ; s’il se trouve dans la bonne voie, qu’il y marche afin d’arriver au but. Nul orgueil, hors du bon chemin ; nulle paresse en chemin.
2. Saint Paul nous affirme que ce psaume traite de la grâce qui nous fait chrétiens : c’est pourquoi j’ai voulu qu’on vous en fît la lecture. Afin d’établir la justice par la foi contre ceux qui vantaient la justice par les œuvres, l’Apôtre parle ainsi : « Quel avantage, dirons-nous, revint à Abraham, notre père selon la chair ? Car si Abraham a été justifié par ses œuvres, il a du mérite, mais non devant Dieu »[2]. Dieu nous préserve d’un semblable mérite ; écoutons plutôt cette parole : « Que celui qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur »[3]. Beaucoup d’hommes peuvent se glorifier de leurs œuvres, et vous trouvez bon nombre de païens qui refusent de se faire chrétiens, parce que leur vie leur paraît suffisante en bonnes œuvres. Bien vivre nous suffit, dit ce païen ; que pourra m’enseigner le Christ ? À régler ma vie ? Elle est réglée, qu’ai-je besoin du Christ ? Je ne commets ni homicide, ni vol, ni rapine, je ne désire point le bien d’autrui, je ne me souille d’aucun adultère. Que l’on trouve à reprendre dans ma vie, et quand on le fera, je me fais chrétien. Cet homme peut se glorifier, mais non devant Dieu. Il n’en est pas ainsi d’Abraham notre père. Tel est le point que l’Écriture signale à notre attention. Car il faut l’avouer, nous croyons tous que ce saint patriarche fut agréable à Dieu, nous reconnaissons et proclamons qu’Abraham a de la gloire devant Dieu, dit l’Apôtre : certes, nous le savons, et il est évident pour nous qu’Abraham est glorieux aux yeux de Dieu : mais s’il fut justifié par ses œuvres, il est glorieux devant les hommes et non devant Dieu. Or, il est glorieux devant Dieu, donc sa justification ne vient point de ses œuvres. Mais si la justification ne lui vient point de ses œuvres, d’où lui vient-elle ? L’Apôtre nous l’explique ensuite : « Que dit l’Écriture ?[4] » c’est-à-dire : À quoi l’Écriture a-t-elle attribué la justification d’Abraham ? « Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice »[5]. Donc ce fut à la foi qu’Abraham dut sa justification.
3. Mais lorsqu’on croit à la justification par

  1. Ps. 100,1 ; Prov. 4,27
  2. Rom. 4,1-2
  3. 1 Cor. 1,31
  4. Rom. 4,3
  5. Gen. 15,6