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que vous avez fait éclater à Jérusalem votre miséricorde ; c’est là que le Christ a souffert, là qu’il est ressuscité, de là qu’il est monté aux cieux, là qu’il a opéré tant de prodiges : mais vous êtes plus admirable encore d’avoir fait éclater votre miséricorde dans cette ville qui l’environne, c’est-à-dire d’avoir tait tomber votre miséricorde comme une rosée sur toutes les nations, de n’avoir point enfermé dans Jérusalem, comme dans un vase, vos parfums exquis, d’avoir en quelque sorte brisé le vase, pour que le parfum se répandit dans le monde, et qu’ainsi fût accomplie cette parole de l’Écriture : « Votre nom est comme un parfum répandu »[1].C’est ainsi que vous avez fait éclater vos miséricordes dans la cité qui m’environne. Le Christ en effet s’est élevé au ciel, il est assis à la droite de son Père, dix jours après il a envoyé l’Esprit-Saint[2] : et pleins du Saint-Esprit, les disciples se sont mis à prêcher les merveilles du Christ, puis ils ont été lapidés, meurtris, chassés[3]. Bannis en quelque sorte de cette ville unique, ils sont devenus par le feu divin comme des torches ardentes qui ont porté dans la forêt du monde la ferveur du Saint-Esprit, et la lumière de la vérité ; et le Seigneur a fait éclater sa miséricorde dans la cité environnante.
10. « Pour moi, j’ai dit dans mon extase ». Rappelez-vous le titre du psaume : voici l’extase dont il est parlé. Pesez bien les paroles voici ce qu’il dit : « Pour moi, j’ai dit dans mon extase : Me voilà rejeté loin de vos yeux ». J’ai dit dans ma frayeur, c’est là ce que signifie : « J’ai dit dans mon extase ». Il a été dans la stupeur, en face de je ne sais quelle tribulation, comme il y en a tant. Il s’est vu le cœur plein de frayeur et de trouble, et il s’est écrié : « Me voilà rejeté loin de vos yeux ». Si j’étais caché dans votre face, je ne craindrais pas de la sorte ; si vous aviez l’œil sur moi, je ne serais point dans cette frayeur. Mais, comme il est écrit dans un autre psaume : « Quand je disais : Mon pied est ébranlé, votre miséricorde, ô mon Dieu, me soutenait aussitôt ». Et voilà que même ici le Prophète ajoute : « Aussi avez-vous entendu la voix de ma prière ». Parce que j’ai fait un humble aveu, et que j’ai dit : « Me voilà repoussé loin de vos yeux » ; parce que, sans orgueil, j’ai accusé mon propre cœur, et que me sentant chanceler dans l’épreuve, j’ai crié vers vous : voilà que vous avez entendu ma prière ; ainsi s’accomplit ce que j’ai cité de l’autre psaume. Car ces paroles : « J’ai dit dans mon extase : Me voilà rejeté loin de vos yeux », reviennent à celles-ci : « Quand je disais : Mon pied chancelle ». Et celles-ci : « Votre miséricorde, ô mon Dieu, me soutenait », ont le même sens que ces autres : « Vous avez entendu, Seigneur, la voix de ma prière ». Voyez tout cela s’accomplir en saint Pierre ; il voit le Seigneur marchant sur les eaux, et le prend pour un fantôme. Le Seigneur s’écrie : « C’est moi, ne crains rien ». Pierre s’enhardit et répond « Si c’est vous, Seigneur, commandez-moi d’aller à vous sur les eaux »[4] ; par là je verrai si c’est bien vous, si je puis, sur votre parole, faire ce que vous faites. Et le Seigneur : Venez ; et la parole de celui qui ordonne devient la force de celui qui obéit. Venez, dit Jésus, et Pierre descend de la barque ; il commence à marcher, il va sans crainte parce qu’il espère en Jésus : mais au souffle d’un vent violent, la crainte le saisit. « J’ai dit dans mon extase : Me voilà rejeté loin de vos yeux ». Et comme il commençait à enfoncer, il s’écria : Seigneur, je péris. Et Jésus lui tendant la main le souleva en disant : Homme de peu de foi, pourquoi douter ? J’ai dit dans ma frayeur : « Me voilà rejeté loin de vos yeux » ; et quand il va périr dans la mer : « Vous avez, Seigneur, entendu ma voix quand j’en appelais à vous ». Cet appel à Dieu n’est point de la voix, mais du cœur. Beaucoup parlaient du cœur, et dont les lèvres se taisaient, et beaucoup aussi parlaient des lèvres, sans rien obtenir, parce que leur cœur était fort éloigné. Si donc tu veux crier vers Dieu, crie du fond du cœur, puisque c’est là qu’il écoute. Lorsque je criais vers vous, dit le Prophète, vous avez entendu la voix de ma prière.
11. Après en avoir fait une si douce expérience, à quoi nous engage le Prophète ? « Aimez le Seigneur, vous qui êtes ses saints »[5]. Comme s’il nous disait : Croyez-en à mon expérience ; dans l’affliction j’ai invoqué le Seigneur, qui n’a – point frustré mon attente ; j’ai mis en Dieu mon espoir, qui n’a pas été confondu : il a mis la lumière dans mes pensées, et m’a rassuré dans mon trouble. « Aimez le Seigneur, vous qui êtes ses saints » : c’est-à-dire, aimez le Seigneur, vous qui n’aimez pas le monde, ou vous qui êtes ses saints.

  1. Cant. 1,2
  2. Act. 1,9
  3. Id. 8,1
  4. Mt. 14,26-32
  5. Ps. 30,24