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s’éloignent de moi. Si donc ceux qui m’avaient vu, prenaient la fuite au-dehors, et loin de moi (quoique, à proprement parler, ils ne fuyaient pas au-dehors, puisque jamais ils n’étaient entrés à l’intérieur, car s’ils fussent entrés à l’intérieur, ils m’eussent connu ; c’est-à-dire ils eussent connu le corps du Christ, les membres du Christ, l’unité du Christ) ; si, dis-je, ils s’enfuient au-dehors, voilà ce qu’il y a de plus déplorable, d’insupportable même, que cette foule qui m’a vu s’enfuie loin de moi ; c’est-à-dire qu’après avoir connu ce qu’est l’Église, ils s’en aillent dehors former contre cette Église des schismes et des hérésies. Aujourd’hui, par exemple, tu vois un homme, qui est né chez les Donatistes, il ne sait où est l’Église ; il demeure dans la religion où il est né, tu ne pourras lui arracher cette foi qu’il a sucée avec le lait de sa nourrice. Mais donnez-moi un homme, oui un homme qui feuillette l’Écriture, qui la lit, qui la prêche. Est-il possible qu’il n’y trouve point ces paroles « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et ton domaine s’étendra jusqu’aux confins de la terre ? »[1] N’y verra-t-il point : « Tous les confins de la terre seront ébranlés et se tourneront vers le Seigneur, et tous les peuples de l’univers se prosterneront devant lui ? »[2]. Si donc tu trouves ici l’unité de l’univers entier, pourquoi chercher au-dehors, afin de t’aveugler toi-même, et de jeter les autres dans ton aveuglement ? « Ceux qui me voyaient », c’est-à-dire ceux qui connaissaient ce qu’est l’Église, qui l’envisageaient dans les Écritures, « ont pris la fuite au-dehors et loin de moi ». Pensez-vous, mes frères, que tous les hérésiarques, dans les différentes parties du monde, n’aient point vu dans les divines Écritures, que l’Église n’est annoncée que comme la société qui doit embrasser l’univers entier ? Je vous le dis en vérité, mes frères : assurément nous sommes tous chrétiens, ou du moins tous nous portons le nom de chrétiens, tous nous sommes marqués au sceau du Christ ; les Prophètes ont parlé du Christ plus obscurément que de l’Église ; et si je ne me trompe, c’est que l’Esprit de Dieu leur montrait dans l’avenir, que les hommes formeraient des sectes à l’encontre de l’Église, soulèveraient contre elle de fortes discussions, et accepteraient plus facilement le Christ. C’est pour quoi le point qui devait être le plus contesté, a été annoncé, précisé avec plus de clarté, plus d’évidence, afin que cette évidence devînt un témoignage contre ceux qui ont lu ces prophéties, et néanmoins sont sortis de l’Église.
9. Je n’en veux citer qu’un seul exemple. Abraham, qui est notre père, non parce que nous sommes sortis de lui, mais parce que nous imitons sa foi, était juste et agréable à Dieu ; sa foi lui obtint dans sa vieillesse un fils nommé Isaac, et que Dieu lui avait promis de Sara son Épouse[3]. Dieu lui commanda de lui immoler ce même fils ; et alors sans hésiter, sans délibérer, sans mettre en question l’ordre du Seigneur, sans regarder comme mauvais l’ordre qu’a pu intimer Celui qui est la bonté même, Abraham conduisit son fils pour le sacrifier, lui mit le bois sur les épaules, et étant arrivé à l’endroit marqué, il leva la main pour le frapper : à la voix du Seigneur, il abaissa cette main levée par son ordre[4]. Pour obéir, il allait frapper, et pour obéir il s’abstint ; toujours il obéit, jamais il n’est timide. Toutefois, afin que le sacrifice fût achevé, et qu’on ne s’éloignât point sans effusion de sang, il se trouva là un bélier dont les cornes étaient embarrassées dans un buisson ; Abraham l’immola et le sacrifice fut achevé. Examinez cette histoire : c’est une figure symbolique de Jésus-Christ. Mais enfin, faisons jaillir la lumière par la discussion, soulevons les voiles afin de voir ce qu’ils cachent. Isaac, ce fils unique et bien-aimé, figurait le Fils de Dieu ; il porte le bois comme le Christ porta sa croix[5] ; enfin ce bélier désignait encore Jésus-Christ. Qu’est-ce en effet qu’être attaché par les cornes, sinon être attaché au bois de la croix ? C’était là une figure de Jésus-Christ. Mais il fallait aussitôt prédire l’Église, et après avoir annoncé la tête, annoncer le corps ; l’Esprit-Saint, l’Esprit de Dieu veut à l’instant prédire l’Église à Abraham, et rejette les figures. C’était en figure qu’il annonçait le Christ et c’est ouvertement qu’il prédit l’Église ; voici ce qu’il dit à Abraham : « Parce que tu as obéi à ma voix, et que tu n’as pas épargné ton fils unique à cause de moi, je te bénirai, je multiplierai ta descendance comme les étoiles du ciel, et comme le sable des mers, et toutes les nations de la

  1. Ps. 2,8
  2. Id. 21,28
  3. Gen. 21,2
  4. Id. 20,3
  5. Jn. 19,17