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peut tirer parti, tandis que le bois de sarment n’est recherché que par celui qui fait du feu. À la vue donc de cette grande foule qui mène dans l’Église une vie désordonnée le Prophète s’écrie : « Mon opprobre est bien supérieur à celui de mes ennemis ». Ils vivent plus mal en participant à mes sacrements, que ceux qui n’y ont pris aucune part. Pourquoi ne pas le dire franchement en latin, quand nous expliquons un psaume ? Et si nous sommes plus réservés en d’autres temps, du moins que la nécessité d’exposer ce que nous traitons, nous donne la liberté de réprimer les désordres. « Plus que tous mes ennemis, je suis dans l’opprobre ». C’est de ceux-là que saint Pierre a dit : « Leur dernier état devient pire que le premier ; il eût mieux valu pour eux qu’ils ne connussent point la voie de la justice, que de retourner en arrière, après l’avoir connue, et d’abandonner la loi sainte qui leur avait été donnée ». Mais dire « qu’il eût été meilleur pour eux de ne point connaître la voie de la justice », n’est-ce point juger que nos ennemis, placés hors de l’Église, sont dans une position meilleure que les chrétiens qui vivent dans le désordre, surchargeant ainsi et suffoquant l’Église ? « Il eût mieux valu », dit cet apôtre, « ne pas connaître la voie de la justice, que de retourner en arrière après l’avoir connue, et d’abandonner la loi sainte qui leur a été donnée »[1]. Voyez ensuite quelle horrible comparaison il fait à leur sujet : « Il leur est arrivé ce que dit un proverbe bien vrai : Le chien est retourné à son vomissement »[2]. Et puisque tant de chrétiens semblables encombrent nos églises, le petit nombre des bons qui s’y trouvent, ou plutôt l’Église par la voix de ce petit nombre, n’a-t-elle pas raison de s’écrier : « Plus que tous mes ennemis je suis un objet d’opprobre ; c’est le comble pour mes voisins ; c’est un effroi pour ceux qui me connaissent ? » Je suis au comble de l’opprobre aux yeux de tues voisins, c’est-à-dire, ceux qui s’approchaient de moi pour embrasser la foi, ou ceux qui étaient le plus près de moi, ont cédé à la répulsion en voyant la vie désordonnée des mauvais et des faux chrétiens. Combien d’hommes, voyez-vous, mes frères, qui voudraient être chrétiens, et qui reculent devant les mœurs dépravées des mauvais chrétiens ! Ce sont là nos voisins qui s’approchaient de nous, et qui ont reculé devant l’excès de nos opprobres.
7. « Ceux qui me connaissent en sont dans l’effroi ». Pourquoi tant craindre ? « Ceux qui me connaissent », dit le psalmiste, « sont dans l’effroi ». Qu’y a-t-il de si effrayant pour un homme, de voir dans le désordre une si grande foule, de trouver dans la dépravation ceux dont il avait les meilleures espérances ? Il craint alors que tous ceux qu’il a crus bons ne leur soient semblables, et presque toute âme honnête alors devient suspecte. Quel homme ! dit-on. Comment descend-il si bas ? Comment le surprend-on dans ces infamies, dans ces actes hideux, dans ces actions détestables ? Tous les chrétiens, pensez-vous, ne lui ressemblent-ils point ? Tel est le sens de cette parole : « Ceux qui me connaissent sont dans l’effroi », ceux mêmes qui nous connaissent le plus, sont dans la défiance envers nous. Et si tu n’es soutenu par ta propre conscience, supposé que tu en aies une, tu croiras que nul autre ne te ressemble. Toutefois un homme se soutient par la conscience qu’il a de lui-même, et dans sa vie régulière, il se dit : O toi, qui trembles que tous les autres ne soient mauvais, l’es-tu donc toi-même ? Non, répond la conscience. Mais, si tu ne l’es pas, es-tu le seul pour en être à ce point ? Prends garde que l’orgueil chez toi ne dépasse leur dépravation. Loin de toi de te croire seul. Eue aussi, accablé d’ennui en voyant la foule innombrable des impies, s’écriait : « Ils ont égorgé vos prophètes, et détruit vos autels ; voilà que je suis seul, et ils me cherchent pour me faire mourir ». Mais que lui répondit le Seigneur ? « Je me suis réservé sept mille hommes, qui n’ont pas fléchi les genoux devant Baal »[3]. Donc, mes frères, le remède à tous ces scandales, est que vous ne pensiez jamais mal de vos frères. Soyez humblement ce que vous voulez qu’ils soient, et – vous ne penserez point qu’ils puissent être ce que vous-mêmes n’êtes point. Et néanmoins ceux qui nous connaissent, ceux mêmes qui nous ont mis à l’épreuve, doivent rester dans la crainte.
8. « Ceux qui me voyaient fuyaient loin de moi »[4]. Ceux qui ne m’ont point connu, sont dignes de pardon, même en s’éloignant de moi ; mais ceux-là mêmes qui m’ont vu

  1. 2 Pi. 2,20-21
  2. Id. 22
  3. 1 R. 19,10 ; Rom. 11,3
  4. Ps. 30,12