Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/178

Cette page n’a pas encore été corrigée

un horrible blasphème, que d’aspirer au ciel par d’aussi coupables artifices, et de prétendre à la vie éternelle, avec de semblables mérites. Aussi n’est-ce que sa bouche qui est pleine de ce blasphème ; car sa prétention ne peut aboutir, et ne demeurera dans sa bouche que pour sa perdition, de lui qui osait bien se promettre le ciel au moyen de cette amertume et de cette fourberie, c’est-à-dire au moyen de cette exaltation, et de ces embûches qui lui gagnaient la foule. « Sous sa langue est le travail et la douleur ». Nul travail n’est plus pénible que l’injustice et l’impiété ; et ce travail engendre la douleur, parce qu’il est non seulement sans profit, mais encore nuisible. Travail et douleur qui caractérisent ce langage : « Ce n’est que par le mal que je puis passer d’âge en âge ». Aussi est-il dit que cela est « sous sa langue », et non dans sa langue, parce qu’il renfermera ces pensées dans l’intérieur de son âme, et tiendra aux hommes un tout autre langage, afin qu’on le regarde comme le champion du bien et de la justice, et même comme le Fils de Dieu.
26. « Il se met en embuscade avec les riches[1] ». Quels riches, sinon ceux qu’il comblera des biens de ce monde ? Il se mettra donc, est-il dit, en embuscade avec eux, parce qu’il fera ostentation de leur faux bonheur pour tromper les hommes ; et ceux-ci, pris du désir, fatal d’acquérir de semblables richesses, négligent les biens éternels et tombent ainsi dans ses pièges. « Il veut tuer l’innocent dans l’obscurité[2] ». Par « obscurité » il entend, je crois, l’état de l’âme qui discerne à peine ce qu’il faut désirer, de ce qu’il faut fuir ; et tuer l’innocent, c’est amener au péché celui qui était sans tache.
27. « Ses yeux sont en arrêt sur le pauvre ». Car il s’attache principalement à poursuivre les justes, dont il est dit : « Bienheureux ceux qui sont pauvres de gré, car le royaume des cieux leur appartient[3] ». Il les « épie en secret, comme le lion en sa bauge ». Il appelle lion dans sa bauge, celui qui emploie la violence et l’artifice. La première persécution de l’Église fut violente, car alors on contraignait les chrétiens à sacrifier, par la proscription, les tourments et la mort l’autre persécution soulevée par les hérétiques et les faux frères, et qui dure encore, est caractérisée par l’artifice ; la troisième et la plus dangereuse sera celle de l’antéchrist, qui sera caractérisée par l’artifice et par la violence. Il aura la force par l’empire, et l’artifice de la séduction par les prodiges. La violence est précisée par cette expression, « dans sa bauge ». Les paroles suivantes nous expriment le même sens, mais dans l’ordre inverse : « Il tend des embûches pour enlever le pauvre ». Voilà bien la ruse ; et « pour le ravir après l’avoir attiré », marque la violence ; car « l’attirer » nous montre qu’à force de le tourmenter, il parvient à s’assujettir l’homme pauvre.
28. La suite répète encore ce qui vient d’être dit : « Il l’humiliera dans un piège », c’est la ruse. « Il s’inclinera et tombera, quand il aura les pauvres sous sa domination[4] », c’est la violence. Le piège désigne bien les fourberies, et la domination indique évidemment la terreur. « Il humiliera donc le pauvre dans son piège », dit avec raison le Prophète ; car plus paraîtront merveilleux les signes qu’il entreprendra d’opérer, et plus les saints d’alors seront méprisés, et tomberont dans l’opprobre ; et comme ils doivent lui résister dans leur innocence et leur justice, il passera pour les avoir vaincus par l’éclat de ses prodiges. Mais à son tour « il s’inclinera et tombera, après les avoir dominés », c’est-à-dire, quand il aura tourmenté par toutes sortes de supplices les serviteurs de Dieu qui lui résisteront.
29. Mais pourquoi sera-t-il abaissé jusqu’à tomber ? C’est qu’« il a dit dans son cœur : Dieu a tout oublié, il a détourné sa face pour ne rien voir à jamais[5] ». C’est pour l’esprit humain un abaissement et une chute effroyable, de trouver sa félicité dans le crime, et de croire à son pardon, quand il est frappé d’aveuglement, et réservé pour cette dernière et exemplaire vengeance marquée par le Prophète qui s’écrie : « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, étendez votre main[6] » : c’est-à-dire, manifestez votre puissance. Il avait dit plus haut : « Levez-vous, Seigneur, et que l’homme ne s’affermisse point, que les peuples soient jugés en votre présence[7] », c’est-à-dire, dans ce secret que Dieu seul peut pénétrer. C’est ce qui est arrivé quand l’impie est parvenu à ce que les hommes regardent comme un grand bonheur, et que Dieu les a soumis à un législateur, tel qu’ils le méritaient,

  1. Ps. 9,8
  2. Id. 9
  3. Mt. 5,3
  4. Ps. 9,10
  5. Id. 11
  6. Id. 12
  7. Ps. Prim. 9,20