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pas ce qu’il a conçu ? Car le sujet à la naissance n’est plus celui de la conception : concevoir se dit d’un germe, mais c’est l’être que ce germe a formé, qui arrive à la naissance. Le travail est donc le germe de l’iniquité ; et concevoir le travail, c’est concevoir le péché, ce premier péché qui nous sépare de Dieu[1]. Il a donc porté l’injustice, celui qui avait conçu le travail, et « il a mis au monde l’iniquité ». Et comme l’iniquité c’est l’injustice, il a fait éclore ce qu’il avait porté. Que dit-il ensuite ?
17. « Il a ouvert une fosse, il l’a creusée[2] ». Ouvrir une fosse dans les affaires terrestres, aussi bien que dans la terre, c’est préparer un piège où puisse tomber celui que veut tromper l’homme injuste. Le pécheur ouvre cette fosse, quand il ouvre son âme aux suggestions des terrestres convoitises ; il la creuse, quand il y donne son adhésion et s’occupe d’ourdir la fraude. Mais comment serait-il possible que l’iniquité blessât l’homme juste qu’elle attaque, avant d’avoir blessé le cœur injuste qui la commet ? Un voleur, par exemple, reçoit de l’avarice une blessure, quand il cherche à endommager le bien d’autrui. Qui serait assez aveugle pour ne pas voir la distance qui sépare ces deux hommes, dont l’un subit la perte de son argent, l’autre de son innocence ? « Ce dernier donc tombera dans la fosse qu’il aura creusée » ; comme le psalmiste l’a dit encore ailleurs : « Le Seigneur se fait connaître dans ses jugements, et le pécheur s’est pris lui-même dans les œuvres de ses mains[3] ».
18. « Son travail pèsera sur lui, et son iniquité retombera sur sa tête[4] ». C’est lui qui n’a pas voulu fuir le péché ; mais il s’en est rendu volontairement l’esclave, selon cette parole du Seigneur : « Tout pécheur devient l’esclave du péché ». Son péché donc sera sur lui, puisque lui-même s’est soumis au péché ; dès lors qu’il n’a pu dire à Dieu, comme toute âme droite et innocente : « C’est vous qui êtes ma gloire et qui élevez ma tête[5] », c’est donc lui qui sera abaissé, de manière que l’iniquité le dominera et descendra sur lui : elle sera pour lui un poids très lourd, et l’empêchera de prendre son essor vers le repos des saints. Voilà ce qui arrive chez le pécheur, quand l’âme est esclave, et que les passions dominent.
19. « Je confesserai le Seigneur selon sa justice[6] ». Cette confession n’est point l’aveu des pécheurs ; car celui qui parle ainsi disait plus haut avec beaucoup de vérité : « Si vous trouvez l’iniquité dans mes mains[7] ». C’est donc un témoignage rendu à la justice de Dieu ; comme s’il disait : Vraiment, Seigneur, vous êtes juste, et quand vous protégez les bons de manière à les éclairer par vous-même, et quand, par votre sagesse, le pécheur trouve son châtiment dans sa propre malice, et non dans votre volonté. Cette confession élève la gloire du Seigneur bien au-dessus des blasphèmes des impies, qui veulent des excuses pour leurs crimes, et refusent de les attribuer à leur faute, c’est-à-dire qu’ils ne veulent point que la culpabilité soit coupable. Ils accusent de leurs péchés, ou la fortune ou le destin, ou le démon auquel notre Créateur a voulu que nous pussions résister, ou même une nature qui ne viendrait point de Dieu ; ils s’égarent en de misérables fluctuations, plutôt que de mériter de Dieu leur pardon par un aveu sincère. Car il n’y a de pardon possible que pour celui qui dit : J’ai péché. Or, celui qui comprend que Dieu, dans sa sagesse, rend à chacune des âmes ce qu’elle a mérité, sans déroger aucunement à la beauté de l’univers, loue Dieu dans toutes ses œuvres ; et ce témoignage ne vient pas des pécheurs, mais des justes. Ce n’est point avouer des fautes que de dire au Seigneur : « Je vous confesse, Seigneur du ciel et de la terre, parce que vous avez dérobé ces mystères aux savants, pour les révéler aux petits[8] ». De même, nous lisons dans l’Ecclésiastique : « Confessez le Seigneur dans toutes ses œuvres. Et voici ce que vous direz dans vos confessions : Tous les ouvrages du Seigneur proclament sa sagesse[9] ». Donc, cette confession dont parle ici David, consiste à comprendre, avec le secours de Dieu et une piété sincère, comment le Seigneur, qui récompense les justes, et qui châtie les méchants, par ce double effet de sa justice, maintient toute créature qu’il a faite et qu’il gouverne, dans une admirable beauté, que peu d’hommes comprennent. Il s’écrie donc : « Je confesserai le Seigneur selon sa justice », comme le ferait celui qui a compris que le Seigneur n’a point fait les ténèbres, quoiqu’il en dispose avec sagesse. Dieu dit en effet : « Que la

  1. Sir. 10,14
  2. Ps. 7,16
  3. Id. 9,17
  4. Jn. 18,34
  5. Ps. 3,4
  6. Ps. 7,18
  7. Id. 7,18
  8. Mt. 11,25
  9. Sir. 29,19-20