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contre les langues menteuses ? les flèches du vainqueur sont aiguës ; ce sont des charbons ardents[1] ? » c’est-à-dire, si vous en étiez atteint, vous brûleriez d’un tel amour du royaume de Dieu, que vous dédaigneriez tous ceux qui vous résisteraient, et qui tâcheraient de vous détourner de votre dessein : vous vous ririez de leurs persécutions et vous diriez : « Qui me séparera de l’amour de Jésus-Christ ? L’affliction, les angoisses, la faim, la nudité, les périls, la persécution ou le glaive ? J’ai la certitude », poursuit l’Apôtre, « que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les choses présentes, ni les choses futures, ni les vertus, ni ce qu’il y a de plus haut, ni ce qu’il y a de plus profond, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur[2]. » C’est ainsi qu’il a fabriqué ses flèches avec des charbons ardents. Car la version grecque porte : « Ses flèches sont fabriquées au moyen de charbons ardents », quand, presque toujours, nous lisons dans la version latine. « Ses flèches sont ardentes » ; mais que les flèches brûlent, ou qu’elles allument le feu, ce qui leur serait impossible si elles n’étaient brûlantes, le sens est le même.
15. Le Prophète ne parle pas seulement de flèches que le Seigneur a préparées pour son arc, mais encore d’instruments de mort et l’on peut se demander, si des instruments de mort ne désigneraient point les hérétiques, car, eux aussi, s’élancent du même arc du Seigneur, ou des saintes Écritures, non pour enflammer les âmes, de la charité, mais pour les tuer de leurs poisons ce qui n’arrive qu’à celles qui l’ont mérité par leurs crimes : et cette décision est encore l’œuvre de la divine Providence, non qu’elle porte les hommes au péché, mais parce qu’elle dispose des pécheurs dans l’ordre de sa sagesse. Le péché leur fait lire les Écritures avec mauvaise intention, et le sens dépravé qu’ils sont forcés d’y donner, devient le châtiment du péché, et leur mort funeste devient comme un aiguillon, qui stimule les enfants de l’Église catholique, les tire de l’assoupissement et leur fait comprendre les saintes Écritures. « Il faut, en effet, qu’il y ait des hérésies », dit l’Apôtre, « afin qu’on reconnaisse ceux d’entre vous, dont la vertu est éprouvée[3] » ; c’est-à-dire, afin qu’on les reconnaisse parmi les hommes, car ils sont connus de Dieu. Ces flèches, ces instruments de mort, ne seraient-ils point préparés pour l’extermination des infidèles, et Dieu ne les aurait-il pas faites brûlantes, ou avec des charbons ardents, afin d’embraser les fidèles ? Car elle n’est point mensongère, cette parole de l’Apôtre : « Aux uns nous sommes une odeur de vie pour la vie, et aux autres une odeur de mort pour la mort ; et qui est propre à ce ministère[4] ? » Il n’est donc pas étonnant que les mêmes Apôtres soient des instruments de mort pour ceux qui les ont persécutés, et des flèches de feu pour embraser les cœurs de ceux qui ont cru.
16. Après en avoir agi de la sorte, Dieu fera voir l’équité de ce jugement, dont le Prophète nous parle de manière à nous faire comprendre que le supplice de chacun sera dans son péché, et le châtiment dans son injustice même ; et à nous prémunir contre cette pensée qu’il y aurait dans ce calme profond de Dieu, dans sa lumière ineffable, un désir de punir les crimes : toutefois il les dispose avec tant de sagesse, que cette joie même que goûtait l’homme dans son péché, devient un instrument de vengeance pour le Seigneur qui châtie. Voilà, dit le Prophète, « qu’il a enfanté l’injustice[5] ». Mais qu’avait-il conçu pour enfanter ainsi l’injustice ? « Il avait conçu le travail[6] », ce travail dont il est écrit : « Tu mangeras ton pain dans le labeur » ; et ailleurs : « Venez à moi, vous tous qui travaillez, et qui êtes chargés ; mon joug est doux, et mon fardeau léger[7] ». Car le labeur pénible ne finira point pour l’homme, tant qu’il n’aimera point ce qu’on ne pourra lui enlever malgré lui. En effet, tant que nous aimons ce qui peut nous échapper malgré notre volonté, nous subirons le travail et la peine : étroitement resserrés dans les difficultés de cette vie où chacun, pour posséder ces biens, s’efforce tantôt d’en prévenir un autre, tantôt de les extorquer au possesseur, nous ne pouvons les acquérir que par d’injustes combinaisons. Il est donc bien, il est parfaitement dans l’ordre que l’homme enfante l’injustice après avoir conçu le travail. Que peut-il enfanter, sinon ce qu’il a porté dans son sein, bien qu’il n’enfante

  1. Ps. 119,3-4
  2. Rom. 8,35-39
  3. 1 Cor. 11,19
  4. 2 Cor. 2,16
  5. Ps. 7,15
  6. Gen. 3,17
  7. Mt. 11,28-30