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Je veux parler de cette autre fidélité qu’on nomme aussi vulgairement fidélité ; non de cette fidélité que Dieu te prescrit, mais de celle que tu exiges de ton esclave. Je parle de celle-là, car le Seigneur te la commande aussi et il entend que tu ne trompes personne, que tu sois loyal dans les affaires, fidèle à ton épouse. Ton Dieu te commande donc aussi cette sorte de fidélité. Or, qu’est-elle ? Sûrement tu ne la vois pas, et si tu ne la vois pas, pourquoi crier quand on en manque à ton égard ? Par ce cri même je te prouve que tu la vois. Tu disais : Comment préféré-je l’or à Dieu ? Je vois l’or, je ne vois pas Dieu. Tu vois l’or, tu ne vois pas la fidélité, ou pour être plus exact, ne vois-tu pas la fidélité ? Tu la vois quand tu la réclames, et quand on l’exige de toi tu ne veux pas la voir. Tu cries les yeux ouverts : Rends-moi la foi que tu m’as promise : et tu cries les yeux fermés : Je n’ai rien promis. Ouvre les yeux dans les deux cas. Homme inique, ne sacrifie pas la fidélité ; mais l’iniquité ; rends ce que tu réclames.
6. Tu veux affranchir ton esclave et tu le conduis par la main à l’Église. On fait silence, on lit ton acte d’affranchissement, ou on donne une autre preuve de ta volonté. Tu proclames que tu donnes la liberté à ton esclave, parce qu’en tout il s’est montré fidèle envers toi. Voilà ce que tu aimes, ce que tu loues, ce que tu récompenses par la liberté. Tu fais tout ce que tu peux ; tu rends un homme libre, dans l’impuissance de le rendre éternel. Dieu à son tour crie contre toi ; ton serviteur lui sert pour te convaincre ; il te dit au cœur Tu as emmené ton esclave de ta maison dans la mienne ; tu veux le reconduire libre de ma maison dans la tienne. Et toi, pourquoi me sers-tu si mal dans ma maison ? Tu lui donnes ce que tu peux ; je te promets ce que je puis : tu le rends libre parce qu’il t’est fidèle ; je te rends éternel si tu l’es envers moi. Pourquoi raisonner encore contre moi dans ton âme ? Fais pour ton Seigneur ce que tu loues dans ton esclave. Aurais-tu l’arrogance de te croire digne d’avoir une esclave fidèle dans celui dont tu dis : Je l’ai acheté, tandis que je ne mériterais pas d’avoir un serviteur fidèle dans l’homme que j’ai créé ? Ainsi te parle ton Seigneur, intérieurement, dans ce lieu ou nul que toi ne l’entend ; et celui qui te parle ainsi dit toujours la vérité. Se peut-il rien de plus juste que ce langage ? Ne ferme pas l’oreille. Tu aimes la fidélité dans ton esclave, sûrement tu ne vois pas cette fidélité. Pourquoi l’aimes-tu dans autrui ? Pourquoi dans autrui aimes-tu tout ce que j’ai dit ? Pourquoi l’aimes-tu dans un esclave que tu as acheté à prix d’argent, mais que tu n’as point créé ? La conduite de Dieu sur toi repose sur deux sortes de droit : il t’a créé et il t’a racheté. Avant que tu fusses, dit-il, je t’ai créé ; et lorsque tu t’étais vendu sous le joug du péché, je t’ai racheté. Pour affranchir ton esclave, tu brises les tablettes qui attestent sa servitude ; Dieu ne brise pas les tables où sont exprimés ses droits et tes devoirs. Ces tables sont l’Évangile même avec le sang qui t’a racheté : elles sont là, on les lit chaque jour, on t’y avertit de ta condition, on y rappelle la rançon donnée pour toi.
7. Si ce serviteur que tu affranchis ne te demeurait point fidèle, ni digne par sa fidélité, de la grâce que tu lui as faite, si tu le surprenais dans ta maison à quelques friponneries, comme tu crierais : Méchant serviteur, tu ne me gardes point la fidélité ? Ignores-tu que je t’ai acheté ? Ignores-tu que pour toi j’ai compté mon sang ? – Tu cries de toutes les forces, tu ébranles le ciel de tes plaintes et de tes reproches. J’ai donné mon sang pour toi, méchant serviteur. Et tous ceux qui entendent répondent : C’est vrai. Mais ne rougirais-tu pas si cet esclave osait répondre à tes colères et à tes cris, s’il te disait Quel sang, je te prie, as-tu donné pour moi ? Quand tu m’as acheté, on ne t’a même pas ouvert une veine. C’est ton argent que tu appelles ton sang et tu aimes ton argent jusqu’à l’appeler ton sang ! — Ton Seigneur maintenant te condamne par tes propres paroles. Tu dis que ton sang est ton argent, tu exiges la fidélité de ton esclave parce que tu as donné pour l’acheter, non du sang, mais de l’argent, de l’or. Rappelle-toi ce que j’ai donné à mon tour ; lis tes tablettes, si tu ne t’en souviens pas ; lis la mort du Sauveur, le coup de lance, le prix qu’il a versé pour te racheter. Un homme vivant, je l’ai dit, peut s’entrouvrir la veine, donner du sang et continuer à vivre. Ton Seigneur dit beaucoup plus : Vivant on ne m’a pas tiré quelques gouttes de sang, lorsque je t’ai acheté de mon sang, j’ajoute : Je t’ai payé de ma mort. Qu’as-tu à répondre ? Rends à ton Seigneur la fidélité que tu réclames de ton esclave. Tu vois l’or, ne vois-tu pas aussi la fidélité ? Si tu ne la voyais point, l’exigerais-tu ? la louerais-tu ? donnerais-tu la liberté ? Il est vrai, tu vois l’or des yeux de la chair et la fidélité des yeux du cœur. Mais plus ceux-ci l’emportent sur ceux-là, plus est préférable ce que tu vois par eux. Et à