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lui aussi ton manteau[1]. » Il veut qu’en sacrifiant une chose temporelle, tu emploies pour ton repos ce que tu aurais dépensé dans le procès.
3. Ce n’est donc pas de la vie ni des jours du temps présent que parle l’Esprit-Saint quand il dit : « Quel est l’homme qui veut la vie et soupire après les bons jours ? » C’est d’ailleurs ce que montre encore ce qui suit. En effet les recommandations indiquées ensuite comme moyens d’obtenir la vie et les jours de bonheur, sont de telle nature que pour les observer il faut souvent sacrifier la vie présente et les jours de la terre. Si nous voyons la vie actuelle dans ces paroles : « Quel est l’homme qui veut la vie ? » et si pour l’obtenir nous accomplissons les préceptes qui s’y rattachent ; que ferons-nous lorsqu’un homme puissant pour le mal nous menacera de la mort afin d’obtenir de nous un faux témoignage ? Si nous faisons ce qu’ordonnent ces expressions : « Préserve ta langue du mal, » si nous refusons le faux témoignage pour être fidèles à ce commandement, ne semblerons-nous pas déçus ? Comment ! Le désir de conserver la vie nous aurait portés à observer le précepte et l’observation de ce même précepte nous ferait plutôt perdre la vie ? Entendons ici la vie éternellement heureuse, celle que le Seigneur donnera à ceux qui lui obéissent quand ils seront au terme de celle-ci ; celle dont le Seigneur a dit : « Si tu veux parvenir à la vie, observe les commandements[2] ; » et quand alors on nous demandera : « Quel est l’homme qui veut la vie ? » nous répondrons que c’est nous, et en rendant témoignage à la vérité sous le coup même du persécuteur, nous méprisons la mort dans ce monde et nous obtenons la vie dans le ciel.
4. Disons en autant des jours de bonheur. Si en vue des jours de la vie présente, jours que l’on dit heureux et qui ne le sont pas quand on y ensevelit le cœur dans la bonne chère, quand on se plonge dans la luxure, l’ivresse, et les honteux plaisirs de la débauche : si dis-je, c’est en vue de ces jours considérés comme des jours de bonheur que nous voulons observer le précepte et préserver nos lèvres des paroles de tromperie ; ne voyons-nous pas que pour lesconserveril.faut souvent des paroles de tromperie, et qu’on perd la vie en demeurant fidèle à la vérité ? Tromper est-il autre chose que d’avoir sur les lèvres des paroles qui diffèrent des sentiments du cœur ? C’est à cela surtout que s’attachent les flatteurs : presque toujours ils adressent de menteuses adulations pour n’être pas écartés des splendides festins et des banquets solennels, où ils ne sont plus admis si pour l’amour de Dieu ils disent la vérité. Ainsi, pour obtenir ces jours qu’ils croient bons, ils trompent, et s’ils ne trompent pas on les leur refuse. Il est donc d’autres jours de bonheur pour lesquels on nous invite à préserver notre langue du mal et nos lèvres des paroles de tromperie. Ces jours n’appartiennent pas à ce siècle ; ils ne sont pas du ciel qui passera, mais du ciel qui demeurera : ils ne sont pas connus de la terre des mourants, mais de la terre des vivants. Quiconque les a en vue et les aime, préserve sa langue du mal ; en vain pour l’y contraindre on le menace de la mort, ses lèvres ne font point entendre de trompeuses paroles ; en vain pour l’attirer au mal on lui montre ces jours de faux bonheur, il s’éloigne du mal, même au milieu des biens ; il fait le bien, même au milieu du mal ; il cherche la paix qui n’est pas sur la terre, et il s’y attache dans Celui qui a fait le ciel et la terre.
5. Ainsi donc, frères, ambitionnez la vie et cherchez les jours de bonheur là où il n’y aura point de nuit : la vie où nul jour mauvais n’est à craindre ; les jours de bonheur, oie la vie jamais ne doit finir. Mais si vous tenez à cette récompense, ne vous refusez point aux œuvres dont elle est la couronne. Vous y parviendrez en cherchant la paix. La nuit, cherchez-la devant Dieu avec vos mains et vous ne serez pas déçus [3]. Avec vos mains, c’est-à-dire avec vos œuvres : pendant la nuit, c’est-à-dire pendant que dure la tribulation ; devant Dieu, c’est-à-dire avec une conscience pure. En vivant de nette sorte et en aimant de cette manière, vous posséderez Dieu en le contemplant et vous aurez en lui une vie sans fin, d’heureux jours sans nuit, une paix sans trouble.

  1. Mt. 5, 40
  2. Mt. 29, 17
  3. Ps. 76, 3