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ressources ; ils trouvent à peine l’aliment de chaque jour, et ils ont si besoin de l’assistance et de la compassion d’autrui, qu’ils n’ont pas même honte de mendier. Si c’est de ceux-là qu’il est dit : « Le pauvre s’abandonne à vous, » que ferons-nous, nous qui ne le sommes pas ? Tout chrétiens que nous soyons, nous ne nous abandonnons donc pas à Dieu ? Et quelle autre espérance pouvons-nous avoir, si nous ne nous abandonnons point à Celui qui ne nous abandonne pas ?
2. Apprenez donc à être pauvres et à vous abandonner à Dieu, ô mes frères en pauvreté ! Tel est riche, il est orgueilleux. Car dans ces richesses, c’est-à-dire dans ce qu’on appelle vulgairement les richesses, dans ce qui est l’opposé de cette pauvreté vulgaire, il n’est rien qui soit autant à craindre que le vice de l’orgueil. N’avoir pas de richesses, c’est n’avoir pas de grands moyens, c’est n’avoir pas de quoi s’enorgueillir, et par conséquent c’est ne mériter point de louanges si on évite l’orgueil. Louons au contraire celui qui possède de quoi s’enorgueillir sans s’enorgueillir en effet. Pourquoi louer un pauvre qui est humble, un pauvre qui n’a pas de quoi s’élever ? Qui peut supporter un pauvre superbe ? Loue les riches qui sont humbles, loue les riches qui sont pauvres. Ainsi le veut l’Apôtre Paul ; il écrit à Timothée : « Ordonne aux riches de ce siècle de ne se point enfler d’orgueil [1]. » Je sais ce que je dis et donne-leur cet ordre. Car ils ont des richesses qui inspirent, secrètement l’orgueil, des richesses contre lesquelles il leur faut travailler pour devenir humbles. Qu’ils imitent Zachée. Zachée a d’amples richesses, il est prince de publicains, il avoue ses péchés, il est petit de taille, plus petit dans son âme et il monte sur un arbre pour voir passer Celui qui pour son salut devait être bientôt suspendu à la croix ; qu’ils disent comme Zachée : « Je donne aux pauvres la moitié de mes biens. » Mais tu es bien riche encore, ô Zachée, tu es bien riche. Tu veux donner une moitié : pourquoi réserver l’autre ? Pour « rendre le quadruple, si j’ai fait tort à quelqu’un[2]. »
3. Mais j’entends le mendiant épuisé, couvert de haillons, languissant de faim ; il me crie C’est à moi qu’est dît le royaume des cieux ; car je ressemble à ce Lazare qui gisait couvert d’ulcères devant la demeure du riche, et dont les chiens léchaient les plaies et qui demandait à se rassasier des miettes qui tombaient de la table de ce riche. Je lui ressemble, dit le pauvre : c’est à nous autres qu’est dû le royaume des cieux, non à ces hommes que recouvrent la pourpre et le lin et qui font chaque jour grande chère. Tel était ce riche quand le pauvre gisait à sa porte couvert d’ulcères : voyez quelle fut la fin de l’un et de l’autre. « Le pauvre mourut et fut porté par les Anges dans le sein d’Abraham. » Le riche mourut aussi et fut enseveli ; le pauvre peut-être ne l’avait pas été. Et ensuite ? Pendant que le riche était dans les tourments de l’enfer, il leva les yeux et vit en repos dans le sein d’Abraham ce pauvre qu’il avait dédaigné. Il lui avait refusé une miette de pain ; il lui demanda une goutte d’eau. Mais pour avoir aimé la fortune, il ne trouva point miséricorde. Il aurait voulu qu’on secourut ses frères ; cet homme sans cœur et trop tard compatissant n’obtint absolument rien de ce qu’il souhaitait [3].
4. Ainsi distinguons, poursuit le pauvre, entre les pauvres et les riches : pourquoi m’exhorter à d’autres considérations ? Il est facile de connaître les pauvres, facile de connaître les riches ils se montrent. Mon frère le pauvre, écoute-moi, je parle de ce que tu demandes. Quand tu te compares à ce saint couvert d’ulcères, je crains qu’à cause de ton orgueil tu ne sois pas ce que tu dis. Garde-toi de mépriser les riches qui sont miséricordieux, les riches qui sont humbles ; et pour tout redire en un mot, garde-toi de mépriser les riches qui sont pauvres. O pauvre, sois pauvre, pauvre, c’est-à-dire humble. Si le riche est devenu humble, le pauvre ne doit-il pas encore plus le devenir ? Le pauvre n’a pas de quoi s’enfler ; il y a dans le riche, matière à lutter. Écoute-moi donc. Sois un vrai pauvre, sois pieux, sois humble. Si tu te glorifies de cette pauvreté revêtue de haillons et d’ulcères, en pensant que tel fut le pauvre qui gisait à la porte du riche ; tu considères bien qu’il fut pauvre, et tu ne considères pas autre chose. – Quoi ? dis-tu, je suis attentif. Lis les Écritures et tu comprendras ce que je dis. Lazare était pauvre ; mais celui dans le sein duquel il fut porté, était riche. « Ce pauvre mourut, est-il écrit, et il fut porté par les Anges. » Où ? « Dans le sein d’Abraham, c’est-à-dire dans les lieux mystérieux où était Abraham. Loin d’ici toute idée charnelle, et ne vous figurez point que le pauvre fut porté comme dans le sein

  1. 1 Tim. 6, 17
  2. Lc. 19, 2-8
  3. Lc. 16, 19-31