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générosité, s’il est possible : tu veux qu’il ait honte d’offenser son père et qu’il ne craigne pas en lui un juge sévère ; un tel fils est ta joie. Si néanmoins il méprise ces avis, tu recours même à la verge, tu lui infliges des châtiments, tu lui fais sentir la douleur, mais tu veux son bien. Les uns se sont corrigés par amour, d’autres par crainte, mais la frayeur et la crainte les ont conduits à l’amour.« Instruisez-vous, vous qui jugez la terre. » Aimez et jugez. Inutile de chercher l’innocence, au détriment de la règle. Il est écrit : « Qui rejette la règle est malheureux [1]. » On peut ajouter à cette maxime et dire : S’il est malheureux de rejeter la règle, c’est être cruel de ne pas y astreindre. Je viens, mes frères, d’oser vous dire une chose que son obscurité même m’oblige à développer davantage. Je répète donc ce que j’ai dit : « Qui rejette la règle est malheureux ; » cela est clair. Ne pas y astreindre c’est être cruel. Ah ! voici, voici un homme qui se montre doux en frappant, cruel en pardonnant. Je, veux vous en mettre un exemple sous les yeux.
Où trouver cet homme qui se montre doux en frappant ? Je ne vais pas loin, je prends un père et son fils. Le père aime, tout en frappant ; le fils se refuse à la correction; le père ne tient pas compte de ce refus, il cherche l'avantage de son fils. Pourquoi? Parce qu'il est père, parce qu'il prépare un héritage, parce qu'il élève un successeur. Voilà donc qu'en sévissant le père se montre doux et miséricordieux.
Cherchons un homme qui soit cruel en pardonnant. Je ne quitte ni le père ni le fils, les voici de nouveau devant vos yeux. Si cet enfant vit sans châtiment, sans frein, qu'il se perde et que le père dissimule, pardonne, et craigne de faire sentir la sévérité de la discipline à cet enfant égaré, ne se montre-t-il pas cruel par cette indulgence ?
« Instruisez-vous donc, vous tous qui jugez la terre, » et en prononçant des jugements sages espérez récompense, non de la terre, mais de celui qui a fait le ciel et la terre.


SERMON XIV. Prononcé à Carthage un jour de dimanche. LE VRAI PAUVRE[2].

ANALYSE. – Quel est le vrai pauvre, le pauvre qui s’abandonne à Dieu, et quel est l’orphelin véritable, l’orphelin dont le Seigneur est l’appui ? I. Le véritable pauvre est 1° celui qui est humble. Si l’orgueil est insupportable dans le riche, ne l’est-il pas davantage dans le pauvre ? Mais l’homme humble est pauvre, fût-il comme Zachée au sein des richesses. Non, dit le pauvre, il faut qu’il soit de plus dénué comme Lazare, comme je le suis moi-même. Prends garde à l’orgueil, et n’es-tu pas condamné parla vue même d’Abraham qui reçut Lazare dans son sein ? C’est qu’Abraham fut pauvre au milieu de l’opulence. Pour être pauvre, il faut 2° être détaché des richesses, ne les pas désirer. Donc le riche, est pauvre quand il ne désire point en acquérir, quand il est détaché de celles qu’il possède et qu’il en use ; pour le bien d’autrui. Toi au contraire qui les envies, tu es malheureusement riche dans ta pauvreté. Ainsi donc le vrai modèle du pauvre chrétien est Jésus-Christ : il fut pauvre et riche à la fois. II. Le véritable orphelin est celui qui se considère comme n’ayant d’autre père que Celui qui est aux cieux.


1. Nous venons de chanter à la gloire du Seigneur : « Le pauvre s’abandonne à vous ; vous serez l’appui de l’orphelin. » Cherchons un pauvre, cherchons un orphelin. Ne vous étonnez point si je vous invite à chercher ceux que nous voyons, ceux que nous sentons en si grand nombre. Tout n’est-il pas rempli de pauvres, rempli d’orphelins ? Cependant je cherche partout un pauvre, un orphelin partout. Montrons d’abord à votre charité que ce que nous cherchons n’est pas ce que nous croyons. En effet ceux que l’on nomme pauvres et qui le sont ; ceux pour qui Dieu a commandé de faire l’aumône et pour qui il est écrit : « Renferme l’aumône dans le cœur du pauvre, et elle priera pour toi le Seigneur [3] ; » ces pauvres sont multipliés parmi les hommes ; mais il nous faut entendre le mot pauvre dans un sens plus élevé. Le pauvre ici est de ceux dont il est dit : « Heureux les pauvres d’esprit, parce qu’à eux appartient le royaume, des cieux[4]. » Il est des pauvres qui sont sans

  1. Sag. 3, 11
  2. Ps. 9, 14
  3. Sir. 29, 15
  4. Mt. 5, 3