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SERMON CL. LA SOURCE DU BONHEUR[1].

ANALYSE. – Avant de rapporter le discours de saint Paul devant l’Aréopage et le succès qu’il obtint, les Actes disent qu’il conféra avec plusieurs philosophes épicuriens et plusieurs philosophes stoïciens. Ce n’est pas sans une disposition spéciale de la Providence qu’apparaissent ici ces deux sectes. À elles en effet semblent se rapporter toutes les autres. Quel est le but de tous les philosophes comme de tous les hommes ? De parvenir au bonheur, à la vie bienheureuse. Or les Epicuriens mettent le bonheur dans les plaisirs du corps et les Stoïciens dans la vertu de l’âme. N’est-ce pas à ces deux opinions que se rapportent toutes les autres opinions philosophiques, puisqu’on ne peut distinguer en nous que le corps et que l’âme ? Mais l’une et l’autre sont combattues par l’Apôtre. Au lieu de mettre le bonheur dans le plaisir des sens, il ordonne la mortification des sens ; et toute sa doctrine fait hautement dépendre la vertu de la grâce de Jésus-Christ. Aussi Jésus-Christ et Jésus-Christ seul est à la fois la source du bonheur et le chemin qui y conduit.


1. Votre charité a remarqué avec nous, pendant la lecture des Actes des Apôtres, que saint Paul adressa la parole aux Athéniens, et que pour tourner en dérision la prédication de la vérité, on lui donna le nom de semeur de paroles. Dans la pensée de ceux qui le donnaient, ce surnom était une insulte ; mais la foi ne doit pas le dédaigner, car l’Apôtre semait réellement des paroles pour moissonner des vertus. Et nous-mêmes qui sommes si petits et qui n’avons rien à comparer à ce grand homme, ne semons-nous pas la parole de Dieu dans le champ même de Dieu, c’est-à-dire dans votre cœur, et n’attendons-nous pas de vous une ample moisson de vertus ? Quoi qu’il en soit, nous vous engageons à vous montrer fort attentifs au sujet dont la lecture des Actes nous avertit d’entretenir votre charité : peut-être y exposerons-nous, avec le secours du Seigneur notre Dieu, des idées que tous ne sauraient comprendre facilement, si quelqu’un ne les exprime, et que nul ne doit dédaigner, quand il les comprend.
2. Paul parlait à Athènes. Or les Athéniens avaient parmi les autres peuples une grande réputation en tout genre de littérature et de doctrine. Athènes était la patrie des grands philosophes, et de ce centre s’étaient répandus dans les autres contrées de la Grèce et de l’univers des enseignements nombreux et variés. C’est donc là que parlait l’Apôtre, là qu’il annonçait ce Christ crucifié qui était scandale pour les Juifs et folie pour les Gentils ; mais pour ceux qui « sont appelés, soit Juifs, soit Gentils, la Vertu de Dieu et la Sagesse de Dieu[2]. » Songez à quel danger c’était s’exposer que de prêcher ainsi au milieu des orgueilleux et des savants. Lorsque l’Apôtre eut terminé son discours, plusieurs se moquèrent, parce qu’il avait fait mention de cette résurrection des morts qui est l’un des articles principaux de la foi chrétienne ; d’autres disaient : « Nous t’entendrons une seconde fois sur ce sujet ; » il y en eut même qui crurent et parmi eux on nomme : Denys l’Aréopagite, l’un des magistrats d’Athènes, car l’Aréopage était comme le sénat dès Athéniens ; une femme noble encore et quelques autres. Ainsi la parole apostolique fit trois partis du peuple athénien, et on les voit caractérisés avec une exactitude remarquable : le parti des rieurs, le parti des sceptiques et le parti des croyants. « Quelques-uns, vient-on de lire, se moquaient ; quelques autres disaient : Nous t’entendrons là-dessus une nouvelle fois. » Ces derniers doutaient donc, et comme il y en eut qui crurent, ils tinrent le milieu entre les rieurs et les croyants. Mais rire c’est tomber ; croire c’est se tenir debout, et douter c’est chanceler. « Nous t’entendrons là-dessus de nouveau ; » ils ne savaient donc s’ils tomberaient avec les rieurs ou s’ils s’affermiraient avec les croyants. S’ensuit-il que le semeur de paroles ait travaillé inutilement ? Ah ! s’il avait redouté les rieurs, il ne serait pas arrivé jusqu’aux croyants : comme le Semeur évangélique dont parle le Seigneur, et saint Paul était aussi ce semeur, n’aurait pu jeter sa semence dans la bonne terre, s’il avait eu peur de la répandre, soit dans le chemin, soit parmi les épines, soit parmi les endroits pierreux. Semons donc nous aussi, répandons au loin ; à vous de préparer vos cœurs et de donner du fruit.
3. La même lecture nous a rappelé encore, si votre charité s’en souvient, que quelques philosophes épicuriens et stoïciens discouraient avec l’Apôtre. Qu’étaient-ce et que sont encore ces philosophes épicuriens et stoïciens ? Que pensaient-ils ? Où mettaient-ils la vérité ? Que cherchaient-ils parleurs travaux philosophiques ? Beaucoup d’entre vous l’ignorent sans doute, mais ; comme

  1. Act. 17, 18-34
  2. 1 Cor. 1, 23, 24